Rencontre avec Ruaa, artiste Qaraqoshie aux multiples talents
Une équipe de volontaires a rendu visite lors d’une mission cet hiver à Ruaa, artiste de Qaraqosh bien connue de Fraternité en Irak. Elle est l’auteur de l’œuvre-phare de l’exposition Exode et Espérance : « Le rêve du retour ou la femme de Qaraqosh ». Rencontre.
La porte s’ouvre, laissant s’échapper une délicieuse odeur de dormas et de koubbas, cuisinés pour nous. Ruaa nous accueille, le sourire radieux. Ses traits fins témoignent de son élégance et de son dynamisme, tandis que son regard espiègle et rieur laisse entrevoir toute la détermination et la force d’une femme qui a enduré les souffrances de l’exil avec sa famille… Avec pudeur elle raconte.
En 2014, alors enceinte de son troisième enfant, Ruaa a dû fuir l’Irak et laisser sa famille peu de temps avant l’invasion de Qaraqosh par Daech, le 6 août. La situation étant devenue très tendue et sa grossesse arrivant à son terme, elle a en effet préféré partir accoucher en Jordanie. Impuissante, elle a vécu à distance et dans la souffrance la fuite de son mari et de ses enfants devant l’arrivée des djihadistes. Ce n’est donc pas à Qaraqosh qu’elle allait retrouver sa famille quelques mois plus tard, mais à Erbil, dans une maison de location, pour un exil qui allait durer trois longues années.
Un optimisme à toute épreuve
En 2016, à la libération de Qaraqosh, Ruaa découvre avec sa famille le vandalisme et les dégâts opérés par Daech sur leur maison, transformée par les soldats de « l’Etat islamique » en une sorte de quartier général. Une épreuve qui n’a pas anéanti cette femme au parcours unique : diplômée de l’université des Beaux-Arts de Mossoul, elle a toujours baigné dans le milieu de l’art, initiée par son père sculpteur.
Très attachée à la place des femmes dans la société et au fait qu’elles puissent travailler, elle est aujourd’hui la seule femme à vivre de son art à Qaraqosh et en est très fière. Le but de son art est de promouvoir l’espoir et de construire l’avenir en manifestant de l’optimisme. « J’ai beaucoup de rêves pour mon travail et mon œuvre mais en Irak, c’est difficile de réaliser ses rêves… » souffle-t-elle cependant.
Créatrice de mode
Artiste plasticienne, elle est aussi professeur d’arts-plastiques et créatrice de mode. Aidée de deux autres jeunes femmes qu’elle a formé, elle a réalisé en deux ans cinquante robes traditionnelles. Si ces robes ne se vendent pas ou peu, elles ont une forte valeur symbolique : elles sont essentiellement portées lors du festival du dimanche des Rameaux, grand rendez-vous folklorique pour tous les habitants de la région.
Elle a également créé avec beaucoup de talent les costumes de la chorale de Qaraqosh, n’hésitant pas à revisiter ce même habit traditionnel en le modernisant. Tout un symbole, qui est celui qu’elle souhaite donner à ses œuvres. Pour elle, elles doivent incarner ce lien entre passé et présent…
« La femme, une oeuvre d’art »
Dans ses œuvres plastiques aussi, elle aime jouer avec la couleur, comme en témoigne son tableau d’une femme en habit traditionnel de la ville pour symboliser la joie du retour à Qaraqosh après l’exil. D’ailleurs, elle s’inspire des motifs de ses tableaux pour les broderies de ses robes car la femme est, selon elle, « une œuvre d’art. »
D’un naturel profondément optimiste, comme en témoigne son sourire dont elle ne se départit jamais, elle cherche à symboliser l’espoir dans chacun de ses tableaux par des images, par des couleurs vives et contrastées. « Il faut montrer que malgré toutes les souffrances vécues, la vie continue après Daech. L’Irak, c’est comme ça depuis la nuit des temps. On n’a pas le choix, il faut être optimiste et reconstruire sa maison ». On pressent en la quittant que ce terme ne désigne pas seulement l’habitation en dur, mais le pays tout entier.