Reconstituer le cadastre des villes à peine libérées de Daech dans la plaine de Ninive, telle est la mission inédite menée par Guillaume, architecte volontaire de Fraternité en Irak. Ce travail minutieux est essentiel pour la poursuite du vaste chantier de la reconstruction de la plaine de Ninive et le retour des habitants chez eux. Récit de l’élaboration d’un document sans équivalent.
En décembre 2016, le Père Sabeth, prêtre chaldéen du village de Karamless dans la plaine de Ninive, découvre l’étendue des dégâts causés par les djihadistes qui viennent tout juste d’entre être chassés. On entend encore, à quelques kilomètres, les bombardements de la bataille pour la prise de Mossoul. « À ce moment là, je me suis tout de suite dit qu’il allait falloir tout recommencer, témoigne-t-il. Mais comment faire ? » Sa paroisse compte 820 familles chrétiennes qui ont toutes fui dans la précipitation devant l’avancée de Daech en août 2014. Depuis, elles sont réfugiées au Kurdistan irakien, les plus chanceuses dans des appartements loués à Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil, les plus modestes dans des mobilhomes du grand camp de déplacés d’Ashti.
Guillaume au travail avec le comité de reconstruction
Pour réfléchir aux moyens d’aider les habitants à rentrer chez eux au plus vite, Abouna Sabeth monte dès janvier 2017 un comité de reconstruction. Rapidement, les membres de Fraternité en Irak rencontrent cette équipe dynamique et se mettent à son service. Dès lors, les talents de Guillaume, architecte, volontaire pour Fraternité en Irak depuis février 2017, vont être particulièrement utiles. « Il n’existait aucun plan de la ville sur lequel s’appuyer pour lancer la reconstruction ! » explique Guillaume.
Un travail de fourmi
Le jeune architecte se lance alors dans un travail minutieux de cadastrage qui va durer plusieurs mois. Dans un premier temps, en se basant sur une photo aérienne satellite, il trace à l’aide d’un logiciel d’architecture, les rues, les bâtiments public et les centaines de maisons. Puis, le fond de carte imprimé en main, il se rend sur place et arpente la ville et chacune de ses maisons pour affiner : corriger le trait, ajouter celles qui n’apparaissaient pas…
Les habitations sont ensuite numérotées sur le terrain et sur la carte. À chaque code est associé à un dossier de photos prises par les familles. Une couleur est attribuée à chacune en fonction de son état : partiellement endommagée, brûlée, ou totalement détruite. Aidé par les membres du comité de reconstruction, il ajoute ensuite des informations supplémentaires comme les points d’accès à l’eau, les générateurs, tout le réseau électrique de la ville. « Durant tout ce travail, j’ai été très impressionné par l’investissement personnel du Père Sabeth, reconnaît Guillaume. Il a passé beaucoup de temps à arpenter la ville, casquette sur la tête et mains dans les décombres poussiéreuses… »
Un document unique et essentiel
Après trois mois de travail et une quinzaine de « jets » toujours plus affinés, la version finale de la carte est imprimée mi-mai. Les premières réhabilitations de maisons peuvent dès lors commencer, en débutant par les maisons les moins abîmées des familles qui ont formellement annoncé leur intention de revenir vivre à Karamless. Elles ont pour cela signé une promesse de retour recueillie par le Père Sabeth.
Abouna Sabeth étudie le plan avec Guillaume
Le plan cadastral dessiné par Guillaume – le premier de la sorte ! – se révèle extrêmement précieux pour la gestion urbaine globale. Dans un village comme Karamless qui ne possède ni noms de rue, ni numéro, cette carte renseigne sur le propriétaire de chaque parcelle. Elle permet de dresser des statistiques pour les réhabilitations. Elle offre une vue d’ensemble qui peut conférer davantage de cohérence aux constructions futures : où est-il judicieux de bâtir une école ou un dispensaire de santé ? Preuve de son utilité, ce document a vocation à devenir un outil incontournable pour le comité de reconstruction qui coordonne le travail de différentes ONG oeuvrant pour la remise en état de la ville.
Une photographie de la ville pour faire mémoire
« Il s’agit moins de viser l’exactitude avec un document pouvant servir de preuve juridique dans des affaires de propriété, que de poursuivre un objectif de gestion globale et de patrimoine, explique Guillaume. En effet, ces villages de la plaine de Ninive changent très rapidement. Les maisons anciennes sont remplacées à toute vitesse par des maisons modernes. Cette carte est une photo prise à l’instant « T » importante pour la mémoire des Karamlechis. » Par ailleurs, pouvant facilement être mis à jour, ce plan est aussi un moyen d’inscrire dans le long terme les projets urbains entrepris.
L’architecte qui effectue aujourd’hui le même travail à Tellsqof et à Batnaya, deux autres localités de la plaine de Ninive, réalise que le contexte incertain rend difficile la prise de recul : « il est difficile de ne pas avoir le nez dans le guidon et de garder une vision à long terme, avoue-t-il ! Nombreux sont les Irakiens chrétiens qui, avec fatalisme, se disent « ça va recommencer » ou « de toute les façons je vais finir par partir » sans trop savoir quand… Une carte comme ça, permet de leur montrer que leur village a un intérêt, qu’il vaut le coup de s’y investir ». Il conclut humblement : « c’est un outil qu’on leur donne, ce sont eux ensuite qui s’en emparent ».
Découvrez toutes les actions de Fraternité en Irak au service de la reconstruction de la plaine de Ninive ! Aidez-nous à encourager le retour des habitants de Karamlech, Batnaya ou Qaraqosh chez eux !