TRIBUNE parue sur le FigaroVox le 10 juin 2016 – Il y a deux ans, Daech s’emparait de Mossoul puis de la plaine de Ninive. Pour Faraj Benoît Camurat, président de Fraternité en Irak, il est temps d’accélérer la libération de ces territoires, berceau des minorités religieuses en Irak, afin de leur permettre d’envisager un avenir dans leur pays.
Nous sommes le 10 juin, un jour en apparence comme les autres. Et pourtant des millions d’Irakiens, eux, ne peuvent pas s’empêcher d’imaginer comment seraient leurs vies si Daech n’avait pas pris Mossoul il y a deux ans jour pour jour. Combien de pères pleurent leurs filles et leurs femmes qui sont toujours aux mains de Daech? Combien de nuits sans sommeil pour ceux qui ont dû fuir Mossoul, Sinjar et la plaine de Ninive? Comment ne pas penser aux milliers d’enfants qui sont nés depuis l’été 2014 et qui n’auront connu que la vie de réfugiés?
Pour tous les Irakiens victimes de Daech, ce 10 juin 2014 marque le début d’une longue nuit de l’humanité. Comment ne pas douter de l’humanité quand Daech enlève des petits garçons pour les transformer en enfant soldats ou arrache une petite fille de quatre ans des bras de sa mère? Comment faire à nouveau confiance quand un voisin vous appelle pour vous dire qu’il est entrain de piller le contenu de votre maison? Comment expliquer aux jeunes enfants qu’ils ne retrouveront peut-être jamais les jouets qu’ils ont laissés dans leurs écoles.
Le calvaire des 3,3 millions d’Irakiens déplacés à l’intérieur de leur pays à cause de Daech a déjà trop duré. Vivre deux semaines dans un camp de réfugiés est une expérience épuisante physiquement et mentalement. Y vivre deux ans est destructeur. Ces deux années les déplacés les ont passées ballotés au gré des rumeurs et des informations sur l’évolution de la ligne de front. Plusieurs fois ils ont cru par exemple que la ville de Baashiqa avait été reprise, tous les deux mois ils se sont surpris à espérer à nouveau à l’occasion de l’énième annonce d’une offensive pour reprendre Mossoul. Ils auront été à chaque fois déçus. Aujourd’hui les réfugiés, qu’ils soient chrétiens, yézidis, kakaïs, sunnites ou chiites ont le sentiment de vivre dans un tunnel trop long.
Pourtant il n’y a plus de raison de repousser la libération de la plaine de Ninive. Depuis leur avancée, le 29 mai dernier, les Peshmergas kurdes ne sont plus qu’à 4-5 kilomètres de Qaraqosh et Karamless notamment, les deux gros villages chrétiens de la plaine. Si tout le monde peut comprendre que reprendre Mossoul qui compte 1,5 millions d’habitants nécessite du temps, personne ne peut accepter que la plaine de Ninive, parsemée de villages prenne autant de temps à être libérée.
Deux ans après leur exode, les habitants de cette plaine ont besoin d’avoir une raison d’espérer à nouveau. Alors qu’une opération pour libérer Mossoul semble enfin se concrétiser, des centaines de milliers de réfugiés retiennent leur souffle avec un sentiment mélangé d’espoir et d’angoisse, l’espoir de retrouver leurs villes et l’angoisse qu’elles aient été détruites. Ils ont tous en tête les images de Sinjar la grande ville yézidie, libre mais à moitié rasée. L’avenir des chrétiens d’Irak et des minorités dans ce pays dépendra donc aussi largement de l’état dans lequel ils retrouveront leurs villages après leur libération. Pour les Kakaïs, il n’y avait pas deux Wardak et l’on sait hélas que le grand mausolée de Sayed Hayas a été détruit par Daech. Pour les chrétiens, il n’y a pas deux Qaraqosh ou deux Karamless de la même manière que pour les Yézidis il n’y a pas deux Baashiqa. La préservation de ces villes au moment de leur libération est d’une importance capitale pour que l’Irak demeure une mosaïque de communautés. Elles sont des lieux uniques de la mémoire de populations entières.
Durant ces deux ans d’exil, la force d’âme de ces réfugiés, leur courage pour reprendre un travail, leur détermination à garder le trésor de leur foi, cette capacité à se relever malgré des épreuves inhumaines sont la preuve que les chrétiens et les minorités ont encore un avenir en Irak. En observant les réfugiés construire l’église Al Bichara entre août et novembre 2015 dans le camp d’Ashti, à Erbil, on pouvait voir une assurance dans leurs gestes, une foi dans une promesse céleste: oui, bientôt la messe serait à nouveau célébrée dans l’église Al Bichara de Mossoul. Deux ans après la prise de Mossoul, la nuit de Daech n’a pas éteint la flamme des chrétiens d’Irak, deux ans plus tard les bougies brûlent toujours aux pieds des statues de la Vierge, comme autant de lumières qui manifestent la confiance d’un peuple malgré les épreuves. Deux ans après la grande catastrophe, les Yézidis allument toujours, matins et soirs leur feu sacré dans leurs temples, flèches blanches dressés vers le ciel.
Aujourd’hui comme depuis 2011, les membres de Fraternité en Irak feront tout ce qu’ils peuvent pour soutenir les chrétiens et les minorités, pour partager fraternellement cette attente inquiète de la libération et pour les aider à reconstruire leurs vies dans leurs villages et à Mossoul. Une nouvelle fois les chrétiens et les minorités d’Irak ont besoin de sentir qu’ils ont des frères, une nouvelle fois ils ont besoin de vous.