PORTRAIT – La ville de Qaraqosh où il a grandi est toujours entre les mains de l’État islamique. Rony a été ordonné le 5 août 2016 avec deux autres prêtres pour le diocèse syriaque catholique de Mossoul et Qaraqosh, deux ans exactement après l’exode de 120 000 chrétiens de la plaine de Ninive. Depuis la création de Fraternité en Irak en 2011, il a aidé les volontaires de l’association à Qaraqosh puis à Erbil et il est devenu un ami. Voici son histoire.
À Qaraqosh, la grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, située à une trentaine de kilomètres de Mossoul, Rony, 27 ans, grandit au sein d’une famille très pieuse. Chaque jour, ils prient ensemble le rosaire et lisent un passage d’Evangile. « Notre famille a placé la prière au coeur de sa vie », souligne Rony. Le prêtre tout juste ordonné se souvient d’avoir reçu l’appel du Seigneur dans son enfance. « Quand j’étais petit, être prêtre c’était un rêve pour moi, il y avait quelque chose au fond de moi lorsque j’allais à la messe ». Le prêtre qui enseigne le catéchisme aux enfants lui prédit qu’il sera prêtre quand il aura fini ses études. Au fond de lui, Rony l’espère déjà.
Par la suite, il commence des études de mathématiques à Mossoul pour devenir professeur. Chaque jour, il effectue la trentaine de kilomètres qui sépare Qaraqosh de Mossoul pour se rendre à l’université. Depuis la chute de Saddam Hussein, la capitale de la province de Ninive est une ville instable et les étudiants chrétiens s’y rendent avec appréhension. En 2010, un événement dramatique les frappe de plein fouet. Les bus dans lesquels ils circulent pour aller à Mossoul sont l’objet d’un attentat qui fera deux morts et 180 blessés. Pour Rony, lui-même blessé au visage et qui a cru voir sa sœur mourir sous ses yeux, c’est un déclencheur. Il frappe à la porte du séminaire. L’évêque accepte mais lui demande de finir ses études.
Cette annonce est difficile à vivre pour sa famille. « Lorsque je suis entré au séminaire il ne restait qu’un frère à la maison. Ma maman me disait que j’aurais pu être catéchiste et continuer ainsi à servir l’Église tout en restant professeur, mais je voulais voir la vérité, le visage de Dieu, servir mes frères. Ma maman me disait qu’elle pleurerait jusqu’à mon retour… ». Les deux premières années au séminaire ne sont pas moins difficiles. « Je partais à 5h le matin pour poursuivre mes études de mathématiques à Mossoul puis je revenais au séminaire l’après-midi. J’ai été très soutenu par l’Église dans cette épreuve ».
C’est à ce moment là que Fraternité en Irak a la joie de faire la connaissance de Rony. Chaque été, de 2011 à 2013, il se propose de faire le guide-interprète pour le groupe de Français qui viennent deux semaines à Qaraqosh pour s’occuper des enfants d’un quartier défavorisé et mettre en œuvre divers projets.
L’exode
Dans la nuit du 6 au 7 août 2014, la vie de Rony et des milliers d’habitants de Qaraqosh bascule. Daech est aux portes de la ville. « Les prêtres nous disaient que nous ne partirions pas. Lorsque les peshmergas sont partis à midi l’évêque nous a dit qu’il fallait prier le rosaire, que nous pourrions rester ici. Je pleurais et puis je me suis mis à prier, à retrouver l’espoir que nous pourrions rester ».
Deux heures plus tard, la situation s’aggrave, les Kurdes qui protégeaient la ville font retraite, le danger est imminent. « Je suis parti dans les derniers. Sur la route j’ai beaucoup pleuré. J’ai vu tellement de gens partir sans rien, sans voiture, des personnes en fauteuil roulant, des gens qui pleuraient ». Rony a la certitude qu’il ne reste que la prière. « J’ai demandé à Jésus et Marie : « où êtes-vous ? Les chrétiens vous aiment et vous prient ». On a passé Karamless et on s’est arrêté car il y avait des milliers de voitures ». Une petite voix en lui murmure « ne t’inquiète pas ». « Les autres avaient besoin que je sois fort. Je me suis mis à sourire, j’ai vu que cela leur donnait la force de continuer. Lorsque nous sommes arrivés au check point de Kalak marquant la limite avec le Kurdistan irakien, on nous a dit que l’on ne pouvait pas passer en voiture. Nous avons fini la route vers Erbil à pied, les jeunes portant les plus vieux ou les enfants, avec seulement les affaires que nous pouvions porter, sans eau ni rien à manger. »
Par la suite Rony se met au service du centre médical de fortune installé dans le camp de tentes près de l’église Mart Schmouni à Erbil, dans le quartier dAnkawa
Il éprouve à nouveau la puissance de la prière : « J’allais visiter les gens pour voir s’il avaient des maladies contagieuses et j’avais beau ne prendre aucune précaution pour m’en protéger, il ne m’est jamais rien arrivé ».
Sa mission de jeune prêtre
Rony sera prêtre pour toutes les paroisses rattachées à Mart Schmouni. « Notre ordination et celle de mes deux frères va donner de la force aux gens parce qu’ils vont voir des jeunes qui ont tout quitté mais dont se dégage une grande paix. Notre Église est en vie ! Nous sommes poussés par une force qui n’a rien à voir avec une force d’homme ».
Un appel
Avant de nous quitter Rony insiste pour faire passer un message à l’extérieur. « Vous savez, les chrétiens d’Irak sont arrivés les premiers en Irak après l’évangélisation de St Thomas. Pour que nous puissions rester en Irak, il faut interpeller les gouvernements pour qu’ils puissent créer une zone de paix pour eux. Ils ont vraiment quelque chose à apporter. Ils ont beaucoup reçu, ils ont beaucoup de compétences, beaucoup sont professeurs, médecins, ils créent des écoles. En Irak, nous avons une foi très forte. Les églises sont pleines. »
Pour Rony, un lien très particulier s’est construit avec la France. « J’aime les Français parce qu’ils nous rendent visite. Beaucoup prient pour nous, et nous prions aussi pour eux. Une véritable communauté de foi s’est créée. Vous avez quitté votre sécurité, votre paix pour venir dans ce pays en guerre. Vous êtes fous – lance-t-il en souriant – cela nous encourage beaucoup à rester même si un grand nombre de familles veulent partir car deux ans c’est long…».