TEMOIGNAGE – Les équipes de Fraternité en Irak se sont succédées à Erbil tout l’été et ont investi, le temps de quelques semaines, une caravane du camp d’Ashti. Ces séjours ont été jalonnés de belles rencontres et ont permis aux volontaires de partager des moments privilégiés avec les habitants du camp. Parmi les amis rencontrés autour de la caravane 36 : des familles, des religieuses, des jeunes mariés, mais aussi des hommes célibataires… Petit tour d’horizon du voisinage.
Le soleil tape fort durant les mois de juillet et août en Irak, mais pas plus que les coupures d’électricité fréquentes, cela n’a arrêté Paul, Marine, Gaëtan ou encore Camille qui durant leur mission d’été, ont vécu dans une caravane du camp d’Ashti. Une expérience significative que chaque équipe de l’association essaie de vivre au cours de sa mission, lorsque c’est possible.
Les inconvénients ? « Aucun », selon Paul, qui a vécu en tout deux semaines dans ce mobile-home prêté par les responsables du camp, si ce n’est la chaleur la nuit lorsque la climatisation, procédé sommaire constitué d’eau et de ventilateur, s’arrête inopinément. Les avantages ? « Tout le reste ! » s’exclame-t-il, enthousiaste. « Nous sommes là pour vivre avec les gens, au milieu d’eux, à leur rythme. Nous sommes invités à prendre part aux grands événements de leur vie et de la vie du camp: mariages, expositions artistiques, fête du catéchisme,… mais aussi aux événements du quotidien ! Nous avons été très régulièrement invités à déjeuner, et nous avons pu prendre des longs moments pour vraiment rencontrer ces familles, et aussi jouer avec les enfants. Le Mölkky a fait fureur, et je ne parle même pas des scoubidous… » témoigne-t-il amusé.
Un mariage à Ashti
L’équipe du mois d’août a ainsi eu la chance de participer à la célébration de mariage d’un couple du camp d’Ashti : Saavio et Lahian. Mgr Petros Mouché, l’évêque syriaque catholique de Mossoul, en exil à Erbil, a uni les fiancés à Notre-Dame de l’Annonciation, l’église du camp financée par les donateurs de Fraternité en Irak. Les invités s’étaient mis sur leur trente-et-un : robes longues, costumes et maquillage appuyé étaient de rigueur. Le rite d’union est simple : les époux reçoivent simplement un ruban blanc autour du cou et un autre autour du bras en forme de croix pour signifier leur engagement. Le soir de cette célébration, l’équipe de Fraternité en Irak au complet a été conviée à la soirée de mariage, dans une grande salle proche du camp. Entre Français et Irakiens, danses et selfies ont rythmé la soirée. Rien de tel que de se réjouir ensemble pour nouer des relations fraternelles avec les habitants du camp ! Parmi ces belles rencontres, celle d’un charpentier de 62 ans, originaire de Mossoul, qui travaille avec son fils à la confection de meubles en bois, dont il est très fier. Son atelier est rempli de lits, d’étagères et de chaises qu’il fabrique et vend dans le camp.
Khaled, 54 ans et Khalida, dix ans de moins, viennent, eux, de Qaraqosh. Ils sont à la tête d’une famille nombreuse de sept enfants ! Khaled est malade, il souffre de la gangrène depuis quatre ans, mais cela ne l’empêche pas d’évoquer passionnément, avec les volontaires de l’association, les différences culturelles entre Français et Irakiens, sur la religion mais aussi le mariage et la vie de couple.
« Nos balles valent plus cher que toi ! »
Najeb, septuagénaire, vient aussi de Qaraqosh. Ne souhaitant pas quitter sa maison malgré l’arrivée de l’Etat islamique en 2014, il a passé deux mois sous le joug de Daech. Alors qu’il s’indignait de l’entrée chez lui de djihadistes, il a été menacé mais pas tué : « Nos balles valent plus cher que toi », lui ont craché les membres de Daech.
En poussant la porte de certaines caravanes, les membres de Fraternité en Irak rencontrent des familles particulièrement éprouvées. C’est le cas de celle de Saad, jeune grand-père de 66 ans, qui a réunit à l’occasion de son anniversaire des membres de Fraternité en Irak, sa sœur, son fils, quatre de ses petits enfants dans une ambiance à la fois empreinte de convivialité et d’émotion. L’un de ses fils, Saamer, jeune papa, a été tué à 27 ans par Daech il y a deux ans, laissant derrière lui sa femme et une petite fille de 2 ans. Aujourd’hui, Saad vit avec une partie de sa famille dans trois caravanes d’Ashti, s’occupant de la petite Rita, dont la maman est partie vivre à Dohuk. Sa petite fille sur les genoux, il montre aux volontaires la photo de Saamer, mettant en évidence les traits de ressemblance entre Rita et son papa. La guerre Iran / Irak (1980-1988), la guerre au Koweit (1990-1991), le décès de son fils Saamer, la blessure grave d’un autre de ses fils dans l’explosion d’un bus emmenant des étudiants de Qaraqosh à Mossoul en 2010, le rendent très pessimiste sur l’avenir de sa famille en Irak : « trop de guerre, trop de morts ». Le regard de Saad ne trompe pas. Il ne croit plus à la paix et souhaite plus que tout vivre paisiblement. Pour cela, la seule issue semble être le départ dans un autre pays. « Aujourd’hui, poursuit Saad, la population kurde est accueillante, mais le doute est permis quant au traitement des populations arabes chrétiennes demain ». Même si la vie à Ashti est difficile, ce grand père affectueux au sourire malicieux, profite du bonheur de vivre en famille en pensant à un avenir meilleur.
Un peu plus loin de l’entrée du camp, sur les lieux de l’ancien camp Ashti 1, démantelé depuis le printemps, plusieurs caravanes sont toujours utilisées : une famille pauvre et plusieurs hommes célibataires y vivent. L’un d’eux, Bassam, syriaque orthodoxe, anglophone, est informaticien de formation mais travaille aujourd’hui dans la sécurité. Son colocataire, Ayman, 37 ans, syriaque catholique, est un ancien ingénieur agricole. En colère, tous deux signalent leurs conditions de vie difficiles et la discrimination dont ils s’estiment victimes en tant qu’hommes célibataires. Ils n’ont pas pu obtenir de place dans le camp d’Ashti 2, la partie la plus récente du camp, au motif que celui-ci est prioritairement ouvert aux familles. Ils souhaitent plus que tout se marier et fonder une famille mais leur situation est un cercle vicieux : « En vivant à l’extérieur du camp, nous ne pourrons pas rencontrer quelqu’un avec qui nous marier… »
Quel avenir demain ?
Ibrahim ne vit pas au camp mais c’est tout comme tant il y passe de temps : il est l’adjoint au camp d’Ashti 2. Il vient de Bartela, village chrétien aux alentours de Qaraqosh. Lorsque Daesh a commencé à envahir l’Irak, les villageois ne s’attendaient pas à ce qu’ils s’en prennent à leur village. Ils avaient eu vent des difficultés des chrétiens des villages éloignés mais ne se sont pas inquiétés de leur sort. Lorsque Daesh s’est rapproché de leur village, ils ont fui en hâte. Sa femme et son dernier fils sont partis en premier, tandis que lui et son fils aîné, Amir, sont partis après, en essayant de sauver ce qu’ils ont pu. Daesh est arrivé et a tout détruit, leur maison, leur magasin, où Amir travaillait, ainsi que toute son enfance.
Dès le premier jour de ce déplacement, Ibrahim, ayant de la famille à Erbil et étant relativement mieux loti que les autres, a commencé à aider les chrétiens réfugiés dans les différents endroits où ils ont été installés : Ankawa Mall, puis le camp d’Ashti 1 et ensuite le camp d’Asthi 2. Amir, son fils, a commencé à chercher du travail dans son domaine d’expertise, l’électronique, mais sans succès. Il a alors décidé de faire comme son père et d’aider ses frères chrétiens réfugiés. Il a aidé son père dans Ankawa Mall, puis a trouvé un travail en tant qu’administrateur du camp d’Asthi 2, emploi qu’il occupe depuis 3 mois. De son poste, Amir aide les réfugiés du camp. Il répond aux sollicitations et problèmes de nourriture, électricité, eau, différends de voisinages, et le plus grand problème du camp, le manque de place pour les familles demandeuses d’asile. Plusieurs familles sont en attente d’une caravane disponible pour s’installer. Ils doivent attendre qu’une famille parte pour qu’ils prennent la place. Sur les 3 derniers mois (mai, juin, juillet), dix familles sont parties du camp, cinq pour s’installer dans un logement en dur à Erbil et cinq à l’étranger. Pour les réfugiés du camp, le logement, l’électricité, l’eau, et la nourriture sont gratuites. Ils vivent parfois jusqu’à dix, dans des caravanes de 24 m2.
Amir est confiant quant au futur des chrétiens dans le pays, et son propre futur. Les jours sombres – dit-il – ne sont pas finis. Jamais les chrétiens n’oublieront ce qu’ils ont vécu. Ils ont perdu leur maison, leur argent, tout. « Heureusement, poursuit-il, les chrétiens réfugiés dans le camp d’Ashti 2 sont mieux lotis que dans d’autres camps. Quand Daesh se retirera des territoires occupés, les gens commenceront précautionneusement à rentrer chez eux. » Selon lui, il y aura beaucoup de travail pour reconstruire tout ce qui a été détruit, et redonner vie aux villages.
Fraternité en Irak a besoin de vous pour continuer son action concrète auprès de toutes ces personnes rencontrées et pour les aider à reconstruire leur futur.