L’Eglise d’Orient, « Eglise du Samedi Saint », par Mgr Yousif Thomas Mirkis

L’Eglise d’Orient, « Eglise du Samedi Saint », par Mgr Yousif Thomas Mirkis

CONFERENCE – Le 15 mars 2016, Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque de Kirkouk, en Irak, a donné une conférence sur le thème « l’originalité théologique de l’Eglise d’Orient ». Pour lui, cette Eglise peut-être caractérisée par son attachement au Samedi Saint, là où l’Eglise Latine est marquée par le Vendredi Saint et l’Eglise orthodoxe par le Dimanche de la Résurrection. Compte-rendu. 

Préambule – Lecture du sermon « La descente aux enfers », attribué à saint Épiphane, évêque de Salamine, Père de l’Eglise, (vers 315 – 403)

Petite histoire de l’Église d’Orient

La théologie orientale joue sur plusieurs registres. Il s’agit d’un tissage. Aussi, la mentalité orientale considère que Dieu, en s’incarnant, s’est tissé avec nous. Il y a donc nous, il y a Dieu, il y a l’homme. À tel point que nous devenons une seule entité par le mystère de l’incarnation. Il y a beaucoup de chose à dire sur ce sujet mais j’ai voulu que ce texte (« La descente aux enfers », attribué à Saint Épiphane) soit vraiment la base de votre méditation et de votre réflexion sur la spécificité de la théologie de l’Église d’Orient.

L’Église d’Orient, c’est l’Église du Ier siècle, l’Église de Saint Thomas apôtre. Elle s’est propagée dès le Ier siècle, à partir de l’Irak, la Mésopotamie, jusqu’à la mer du Japon. Vous imaginez ? Les premiers chrétiens sont arrivés jusqu’à la mer du Japon ouest ; depuis la Mongolie nord, jusqu’à l’Inde du sud, le Sri Lanka, l’Est africain, le Sud de l’Arabie, le Yémen. Tout ceci à partir du Sinaï. Tout cela a été englobé dans l’Église d’Orient, qu’on a appelée chez vous, en Europe, l’Église nestorienne. Et, à partir de 431, cette Église a tourné le dos à ses frères de l’Occident. Elle a été condamnée par l’Église d’Alexandrie, c’est une blessure dans l’histoire. Mais ça n’a pas empêché cette Église de se jeter vers la mission. Elle a évangélisé tous les peuples ; à partir du Ier siècle, jusqu’à 1200. Durant cette période, nous avons une activité missionnaire extraordinaire. Le premier millénaire correspond donc à une dynamique extraordinaire. Puis, à partir du XIIème siècle, les catastrophes débutent, pour la plupart des catastrophes naturelles.

Église d’Occident, Église d’Orient, Église orthodoxes : trois approches différentes

Je nommerai surtout la grande peste qui a commencé à la fin du XIème siècle en Chine. Et, à cause des voyageurs de la route de la soie, qui est arrivée chez vous en Europe au XIVème siècle, où le tiers de l’Europe est mort. Jean Delumeau a écrit un très gros livre à ce sujet qui s’appelle La Peur en Occident. On ne peut comprendre l’histoire du monde que si on comprend que ces catastrophes ont changé complètement l’histoire de l’humanité. Si vous, en Europe, êtes allés découvrir l’Amérique, si on voulait fuir l’Europe, c’est à cause du XIVème siècle qui était un siècle de mort et de désolation. La découverte de l’Amérique est ainsi très liée à la peste noire. C’est presque concomitant. La division de l’Europe, le protestantisme et tous ces événements sont liés en quelque sorte.

Si quelqu’un d’entre vous s’intéresse à l’histoire de l’art, il remarquera qu’il y a un art d’avant le XIVème siècle en Europe et un art d’après le XIVème siècle. Après le XIVème siècle, l’art européen devient triste, macabre, catastrophique. La théologie de l’Occident en prend même un coup. L’Occident devient le vendredi saint. L’Occident devient la figure de croix horribles, avec des crucifix horribles. La souffrance humaine est mise vraiment en avant afin que l’homme se convertisse et pense à la mort. On voit des tableaux remplis des tentations de Saint Antoine. On voit des tableaux avec des morts, surtout des saints qui prient et, à côté d’eux, il y a des morts horribles. On peut penser à de grands artistes comme Dürer. L’Occident c’est vendredi saint, depuis mille ans.

Et vendredi saint a pris une grande proportion avec tous les pèlerinages, Saint-Jacques de Compostelle notamment, où on rappelle aux gens leurs pêchés. Si vous lisez la vie de Saint Vincent de Paul, on voit que sa vie est atroce car, à son époque, quand les gens attrapaient la peste noire, on condamnait la porte d’entrée pour que les personnes meurent dans la maison. Imaginez une ville où, quand une personne de la famille attrape la peste, on le condamne. L’Europe était maudite selon les gens. Il a fallu des gens comme Saint Vincent de Paul, qui ont essayé de donner de l’espoir.

Pour vous, l’Orient c’est les Orthodoxes ; la Grèce et la Russie. En 1054, c’est le schisme. Pour nous, l’Orthodoxie n’est pas l’Orient. Pour nous c’est l’Occident. En Europe, vous êtes l’Extrême Occident et eux, les Orthodoxes, sont l’Occident, c’est-à-dire la Grèce, la Russie, les Arméniens, tous les Orthodoxes. À noter qu’il y a deux sortes d’Orthodoxes : les préchalcédoniens, entre 451 (concile de Chalcédoine) et 1054 et après. Deux vagues d’Orthodoxie. Et nous, nous sommes un peu oubliés. Parce que les Orthodoxes ont développé une théologie différente. Ils ont développé la théologie du dimanche de Pâques. Ainsi, tout le temps, dans la liturgie orthodoxe» et en Russie, on chante « Christos anesti , chant de joie, c’est la joie de Pâques.

On peut alors partager le christianisme en trois parties :
Vendredi Saint : l’Occident
Samedi Saint : l’Église de l’est, l’Église de l’Orient, l’Église nestorienne, l’Église asiatique
Dimanche de Pâques : l’orthodoxie 

L’Église d’Orient : le Samedi Saint

Je vais vous montrer l’importance de ce choix que nous avons fait du Samedi Saint. Le texte, lu en préambule, est attribué à Saint Épiphane, évêque de Salamine. Mais, en réalité, ce n’est pas de lui. Il y a de grands doutes sur l’attribution de ce texte à ce saint. C’est un texte qui vient de notre Église d’Orient car c’est trop poétique, c’est trop chantant, c’est trop comparatif. Il y a des allusions et des mots qui sont profondément ancrés dans la théologie que l’Église d’Irak, de Mésopotamie, a développée. Je vais vous le montrer car c’est une théologie poétique.

Votre théologie, surtout à partir du XII-XIIIème siècle, est une théologie intellectuelle (notamment avec Saint Thomas d’Aquin, philosophe). Vous avez hérité des philosophes grecs. Saint Augustin a adopté le platonisme. Saint Thomas d’Aquin a adopté l’aristotélisme. Ils ont donc essayé d’inventer des matériaux de pensée pour pouvoir convaincre les Grecs, qui étaient toujours friands de pensée. Déjà Saint Paul disait que les Grecs voulaient de la philosophie. À tel point qu’ils en deviennent sophistes, c’est-à-dire parler sans rien dire. Et d’ailleurs, la décadence de la philosophie grecque est devenue la gnose. Et le mot gnose veut dire connaissance ; la connaissance qui ouvre toutes les portes. C’est comme « ouvre-toi sésame ». Je dis un mot et puis ça ouvre, c’est le logos. La matérialisation du logos nous fait tomber dans cette espèce de vide qui a toujours menacé l’Occident.
Or, l’Orient fait peu cas de la philosophie. L’Orient est basé sur la poésie, sur le chant, sur la musique, sur l’art. Sur l’art qui est

dans les mots. Quand je lis un texte comme La descente aux enfers, mon cœur danse. Les mots font des allusions à la joie, à la noce. Certains, parmi les membres de Fraternité En Irak, ont passé Pâques à Kirkouk. Ils ont vu que la plus belle cérémonie de Pâques chez nous, c’est quand le bon larron entre au ciel. C’est vraiment la plus vieille représentation théâtrale dans l’histoire du christianisme. Puisqu’elle remonte à la nuit des temps chrétiens. Ainsi, chaque année, à la fin de la messe, à la fin de la cérémonie pascale, deux acteurs jouent le sort de l’humanité. D’un côté, il y a l’ange qui garde la porte du ciel et de l’autre côté il y a le bon larron.

C’est en relation avec l’Adam emprisonné dans l’enfer, l’ades. L’enfer ce n’est pas l’enfer occidental. Ici on parle de l’enfer comme lieu des morts. Depuis le troisième chapitre de la Genèse, le ciel est condamné. Adam est chassé, personne n’est entré. Donc quand le bon larron vient forcer la porte, l’ange le frappe avec un bâton. La Bible dit qu’il avait une lance en feu. Donc il y a tout un dialogue théologique qui se passe entre cet ange et le bon larron. Cette question a été posée par Saint Augustin au IVème siècle. L’ange demande au bon larron : « Où as-tu étudié ? Quels sont les livres que tu as lus ? Tu ne sais rien du tout, tu n’as fait que de mauvaises choses dans ta vie, comment as-tu compris ? » Et Saint Augustin trouve la pirouette pour résoudre la question. Le bon larron répond « Jésus m’a regardé et j’ai compris. » Par conséquent, on ne devient pas théologien en étudiant. On devient théologien si on se met devant le regard de Dieu. Si on accepte que Dieu s’incarne.

L’importance de l’Incarnation

Le mot incarnation est un mot très important car Dieu n’a pas seulement pris corps. En araméen, il y a deux mots, il y a corps (ce que nous avons de vivant) et ce que nous achetons chez le boucher c’est la viande. Le mot « bisra » c’est la viande. Et en araméen on dit « il est devenu viande ». En français, vous dites « et le verbe se fit chair ». Le mot chair est à mi-chemin entre le mot viande et le mot corps. Mais l’araméen c’est plus terre à terre, c’est plus matériel parce que c’est l’innommable, l’extraordinaire, que personne ne veut accepter. Cela paraît impossible que Dieu accepte la laideur de la viande. Impossible. Et on a toujours la tentation de dire « que Dieu reste Dieu et que l’homme reste l’homme ».

Souvent on tombe dans cette séparation de Dieu et de l’homme. Alors on garde la saleté pour nous et on lui donne ce qu’on a de meilleur. Et on essaie d’éloigner Dieu. De le mettre très loin. Or Dieu, en devenant homme, est descendu très bas.

L’un des grands saints de notre XXème siècle, c’est Charles de Foucauld car il a compris que Dieu est descendu si bas que personne ne peut lui ravir la place la plus basse. Et c’est exactement ce texte, « La descente aux enfers », qui montre que Dieu est descendu, pas seulement sur Terre, mais il est descendu sous la Terre. Il ne faut pas penser à ça de façon matérielle. Il faut penser que sous la Terre, cela correspond à tout ce qui, en nous, est enfoui dans (ce que dit Freud) l’inconscient, le subconscient, dans des choses que nous voulons cacher car ne nous voulons pas que Dieu voit ce que nous avons de malheureux, de triste, de sale. Et bien Dieu l’accepte. Mais pas seulement, il le prend sur lui.

Souvenez-vous de Pierre. Deux fois Pierre veut chasser le Christ. Une première fois quand il pêche le poisson « moi qui suis un pêcheur de poissons depuis des années, toute la nuit je n’ai pas attrapé une petite sardine. » Et puis vient un charpentier, qui n’y connaît rien aux poissons, et dit « jette ton filet à droite ». Mais la droite et la gauche c’est le même lac et il n’y a pas de poissons. Et bien Pierre dit « d’accord selon ta parole, je fais cela ». Il lui fait confiance. Et finalement, il ne pouvait plus sortir le filet de l’eau. Il a fallu appeler les autres pêcheurs, Jean et Jacques, les enfants de Zébédée, pour sortir le filet de poissons. Et là Pierre a reçu le grand choc de sa vie. Vous vous souvenez de ce qu’il a fait ? Il s’est mis à genoux et lui a dit « éloigne-toi de moi, je ne suis pas digne de voir des choses pareilles. » « Moi je ne suis rien du tout, je ne comprends pas ce que tu veux dire. Ce que tu fais là, ça me déboussole, je n’ai plus de critère, je n’ai plus de repère. » Vous vous souvenez ? C’est très important. Ce sentiment de nullité que Pierre ressent en lui-même.

Pierre va une autre fois gaffer, le jour de la transfiguration. Il raconte n’importe quoi. « On est bien là, on va faire quelque chose pour toi, pour Moïse, pour Élie. » L’Évangile dit qu’il disait n’importe quoi ! Il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Pourquoi Jésus se transfigure ? Pourquoi Moïse est là ? Pourquoi Élie est là ? Tout cela passe au-dessus de Pierre. La troisième fois, c’est quand Pierre renie le Christ. Parce qu’il ne sait pas ce qu’il se passe. Il est dépassé. Et nous, quand on est dépassé, on dit « ça suffit ».

Quand nous ne supportons pas quelque chose, nous le découpons. C’est le cas, par exemple avec la Tradition, avec « l’institution » de l’Église, etc. Mais attention, celui qui vous accepte m’accepte. Quand Jésus essaie de se rapprocher de nous. Quand il essaie de laver les pieds de Pierre, Pierre est dépassé, il devient fou, il crie « non, arrête, c’est ridicule ce que tu fais, tu es le maître, tu es le seigneur, tu es le fils de Dieu. Tu laves mes pieds mais ce n’est pas possible. » Imaginez la dernière Cène. Il ne lui reste que 24h à vivre et Jésus se met tel un serviteur à laver les pieds et commence par Pierre. Et Pierre, comme d’habitude, c’est le grand gaffeur, le Gaston Lagaffe du Nouveau Testament.

Pierre c’est moi, c’est vous, c’est nous. Pierre c’est vraiment l’homme qui n’accepte pas l’incarnation. Pourquoi est-ce que Jésus fait ça ? Dieu est amoureux de ce rien que nous sommes. C’est ce que Marie a compris : il a regardé sa servante. C’est parce que je n’étais rien que Dieu a accepté de s’incarner en moi. Toute l’histoire de l’humanité, toute l’histoire du christianisme est une histoire où on veut mettre Dieu sur un piédestal mais lui n’en veut pas. Il ne veut pas être loin, il veut s’approcher de nous.
Communier, s’approcher de Dieu

Vous savez, en araméen, on n’a pas de mot pour « communion ». Et quand on dit « on va à la messe », en fait on dit « on va s’approcher de Dieu. » Et s’approcher de Dieu signifie le laisser nous approcher, le laisser nous toucher. Souvenez-vous de la femme qui a touché le pan de sa tunique. Le Nouveau Testament est araméen, on sent les traces de cette langue (cf conférence de Pierre Perrier, du 15/02/2016). C’est un matériel merveilleux, très terre à terre. Il faut dépasser le grec et sa mentalité pour retrouver un Jésus amoureux qui ne nous trouve pas sales mais nous aime, et ce malgré notre pêché, notre saleté. C’est lui qui a dit qu’Il laisse les 99 brebis pour aller chercher celle égarée. Et quand Il la trouve, Il se réjouit.

Cette histoire du chapitre 15 de Luc, il ne faut pas la couper : la drachme perdue, la brebis et les deux enfants. La pièce d’argent est perdue à l’intérieure de la maison, la brebis est perdue à l’extérieur de la maison et les deux enfants, l’un à l’intérieur l’autre à l’extérieur. C’est pour ça qu’il ne faut pas couper l’introduction du chapitre 15 au risque de ne pas comprendre. Quand je suis perdu à l’intérieur de moi-même, l’Esprit-Saint, dit Saint-Paul, pleure au fond de moi. On peut être perdu à l’intérieur et à l’extérieur.

Alors l’enfer c’est quoi ? On a pas attendu Freud pour découvrir qu’il y a un subconscient qui est un tombeau dans lequel beaucoup de gens meurent de solitude, de tristesse. L’enfer c’est moi. Sartre a dit « l’enfer, c’est les autres » mais en fait « l’enfer, c’est moi. » La pièce Huis clos démontre qu’il n’y a que des murs.

Regardez la théologie de l’Église d’Orient, c’est une théologie du Samedi Saint. Pourquoi ? Parce qu’en fait, le Samedi Saint, le samedi c’est le sabbat. Dieu a créé le monde en six jours et le septième jour, il s’est reposé. Donc, quand on pense au Samedi Saint, il faut penser au sabbat. Et chez nous, on appelle le Samedi Saint « sabbat shabdeh ». Le samedi des samedis. Parque que dans l’Ancien Testament tout tourne autour d’un samedi premier. Ceci signifie que « Dieu se repose ».

Pourquoi ? C’est comme un artiste, quand il fait un tableau, il recule pour voir, il est fier de ce qu’il fait. Dieu crée, regarde sa pièce, son tableau. Il est fier de ce qu’il a fait. C’est vous sa création. Même les athées trouvent la création belle. Donc tout l’Ancien Testament, c’est une affaire de beauté, Dieu crée. Et c’est très simple d’admirer la beauté, il y a des admirateurs de la beauté. Tous les amoureux sont des adorateurs de la beauté. Le Nouveau Testament, c’est autre chose. C’est cette beauté qui a été cassée. Quand nous, être humain, on a un mauvais souvenir, quelque chose qui se casse, on est triste. Il y a des choses irréparables dans notre vie.

Le Samedi Saint et la mort

Tous ces amours qui se cassent, Daesh qui fait sauter Nimrod, la ville la plus belle. On se disait « mais comment on va faire, comment on va la reconstruire ? ». Daesh a détruit le mausolée de Jonas. « Qu’est-ce qu’on va faire ? » Et bien, justement ce sentiment de déréliction, qui est un sentiment très profond dans l’homme, c’est ça le Nouveau Testament. Tout le poids de la vie. Quand l’enfance se termine, c’est toujours le moment des problèmes. Et Dieu nous dit « Je suis avec toi, j’aime le plus cancre d’entre vous, le plus paresseux. »

C’est pour cela que le premier saint de l’histoire c’est le larron. Jésus lui a donné une clé, c’est la Croix. Quand il sort la Croix, l’ange s’incline. La résurrection pour nous c’est le samedi soir. C’est-à-dire, le repos de Dieu parmi nous. Le ciel devient terre et la terre devient ciel, on ne peut plus les séparer. Il n’y a plus de ciel, il n’y a plus d’enfer. Il n’y a qu’une seule chose, notre chair qui est ciel et terre. Cette chair n’est pas seulement la chair de mon corps. C’est la chair de toute l’humanité. Tous ces hommes vivants et morts. Pas une goutte d’humanité ne va se perdre.

Adam, lève-toi. « Œuvre de mes mains » : c’est Jésus le créateur. Il lui dit « lève-toi », tu es à la fois moi et Je suis toi. La résurrection du Christ elle est marquée dans la création.

Quand on voit des gens intelligents, comme Einstein, qui meurent, on se dit que c’est dommage, on aurait pu prendre son cerveau et le brancher sur un ordinateur pour profiter de son intelligence. C’est dommage, alors on s’accroche à la vie, à la matière. Tous, nous avons peur de la vie. Tous les philosophes ont parlé de la mort. Il n’y a que le christianisme qui a renversé la mort. La mort est devenue une porte. Chez vous, Teilhard de Chardin a bien compris ça (Christ cosmique). Relisez-le, il a été très controversé et maintenant on le réhabilite. Pourquoi ? Parce que toujours dans l’histoire on s’éloigne de Dieu, on lui dit « laisse-nous tranquilles ». Mais quand Dieu se mêle de ma vie, c’est le miracle. « Celui qui entend mes paroles et les met en pratique fera des choses plus admirables que moi » dit Jésus.

Donc, nous sommes comme quelqu’un qui a un piano à la maison, qui l’a hérité de son père qui était un bon pianiste mais lui, c’est un rustre, il ne sait pas jouer. Alors qu’est-ce qu’est-ce qu’on fait avec le piano ? C’est le piano du père, personne n’y touche. Au bout de quelques années, il y aura des pots de fleurs sur le piano, du nylon pour ne pas qu’il prenne la poussière, on l’enjolivera pour qu’il soit beau. Mais ce ne sera plus un piano. Ce sera un décor. Puis un jour, cette famille aura besoin d’argent et souhaitera vendre le piano. Alors, une personne viendra voir le piano, mais il ne peut pas acheter le piano sans l’essayer. Il demandera à ce que la famille enlève toutes les choses posées dessus. Il se mettra au piano et jouera. Tous se regarderont et diront « on avait ça chez nous, quels imbéciles nous étions, parce que nous n’avons pas su jouer. » C’est ça la foi, c’est un piano. C’est ce qui se passe dans notre monde. Nous les chrétiens nous avons un piano. Mais on ne sait pas jouer. Mais avec quoi joue-t-on ? Avec notre corps, avec notre respiration, avec tout. Tout en vous est divin, délicieux pour Dieu, extraordinaire. Vous avez en vous une semence d’éternité. Alors pourquoi s’inquiéter, pourquoi avoir peur, pourquoi être triste ? Puisque Dieu est devenu homme.

Le maire de Florence qui s’appelait Giorgio La Pira était un saint homme. Quand il allait à la mairie, on lui disait : « Monsieur le Maire, on a des problèmes. » Et lui répondait : « mais non, il n’y a pas de problèmes puisque Dieu est devenu homme, il n’y a aucun problème. » C’est pour ça que si notre Église d’Orient subit beaucoup de malheurs, si notre Église est détruite en nombre, si nous sommes devant ce fléau qu’est Daesh et l’Islam, il n’y a pas de problème. Un jour, nous avons dit au Seigneur, on porte ta Croix. Puisque tu es devenu homme, ça nous suffit. Nous sommes en toi et un jour il y aura un jugement. Et des saints que nous ne connaissons pas se manifesteront. Il y a des milliards de saints, beaucoup plus que ceux que l’on canonise. On ne sait pas qui ils sont.

Ouvrir les yeux et prier

On ne sait pas voir, ni regarder car le corps de Dieu est répandu partout là où il y a la misère. « Je suis venu pour que vous ayez des yeux. » Regardez l’Évangile, combien de fois Jésus dit : « ouvre les yeux ». On ne comprend pas. Jusqu’à la fin, Jésus dit à ses apôtres : « mais quand allez-vous comprendre ? » Nicodème, quand il va voir Jésus, ne comprend pas les paroles de Jésus. « Je vous parle des choses terrestres et vous ne comprenez pas. Mais qu’est-ce qui arrivera lorsque je vous parlerai des choses célestes. » Le dialogue avec Nicodème est un dialogue de sourds. Et le plus petit dans le royaume de Dieu, c’est-à-dire le plus petit chrétien qui a connu la résurrection de Jésus, est plus grand que Jean-Baptiste, qui est le plus grand prophète. Car avec la résurrection du Christ nous sommes entrés dans quelque chose de complètement nouveau. Le monde est divisé en deux : ceux qui voient et ceux qui ne voient pas. Ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Pourquoi servir les autres ? Car c’est le corps de Dieu qui est caché (Cf Mt 25).

Le corps du Christ est dilué dans l’humanité, même dans nos ennemis. Pour comprendre, il faut prier. Il y a un dynamisme dans le mystère de l’Incarnation que l’Église d’Orient a essayé de comprendre et de transmettre. Ce dynamisme libère du Vendredi Saint. Le Vendredi Saint devient la joie, les chants. Quand nous enterrons quelqu’un dans notre liturgie chaldéenne, on chante des chants de danses.

Saint Ephrem : un des grand Père de l’Église. Dans ses textes, il a imaginé Marie dorlotant Jésus. Il a mis sur la bouche de Marie des berceuses. « Je te porte et c’est toi qui me porte. Je te donne à manger et c’est toi qui nourris tout être vivant. » « Mon fils aie pitié de moi, je n’arrive pas à comprendre ce que tu veux faire de moi. Pourquoi es-tu venu ? » Chaque maman devrait lire ça.
Dans le Nouveau Testament, il y a deux voiles : un vertical et un horizontal. Quand Jésus est baptisé, le ciel s’ouvre. Quand Jésus meurt, le voile se déchire il n’y a plus de saint des saints. Tout être humain est un saint. Partout on est dans l’Église, dans le saint des saints, partout on peut prier.
Ancien Testament : shama : écoute
Nouveau Testament : regarde

Si on ne regarde pas on n’aime pas. Il n’y a pas deux personnes qui se ressemblent. Pourquoi Dieu se fatigue autant pour créer des choses comme ça ? Daesh ne veut pas de différences. Aujourd’hui, on uniformise tout. Il y a des multitudes de peuples différents. On est l’ennemi de ce que l’on ne connaît pas. On est ennemi de Dieu, on trahit Dieu tous les jours.
Saint Paul : les Grecs veulent de la philosophie. Les juifs veulent des miracles. Les chrétiens, ni philosophie, ni miracle mais on prêche Jésus crucifié.

Question du public :

Pourriez-vous nous expliquer comment se passe la messe dans le rite chaldéen ?

L’incarnation, c’est quand Dieu devient chair, viande. Que fait-on avec la viande ? On la mange pour vivre.
Les Arabes ne connaissaient pas le pain. Les Égyptiens appellent le pain vie. Tout ce que nous mangeons nous donne la vie.
Si Dieu est devenu corps avec nous, Il a besoin de se nourrir. Dans le chapitre 6 de Jean, « Vos pères ont mangé la manne et ils sont morts. Mangez-moi. » « Comme je suis Dieu devenu homme, l’homme que je suis, je deviens pain. » L’eucharistie, c’est la troisième incarnation.

Création, incarnation, transsubstantiation. Souvent on tombe dans le piège quand on oublie qu’il y a l’Esprit-Saint. On pense au Père créateur, au Fils sauveur mais on oublie l’Esprit transformateur. Notre messe est la transformation par l’Esprit-Saint. C’est pour cela que dans notre messe chaldéenne, ce ne sont pas les paroles de consécration qui sont les plus importantes. On descend chez les morts pendant la messe, on va les visiter. Et à la fin, on lève les mains et on dit « Seigneur que ton esprit vienne. » Parce que ce pain que tu vas consacrer, il va devenir le corps des vivants et des morts. Donc, nous communions à la place des morts. C’est pour ça qu’on prie pour les morts même les gens qui ne croient pas. Je ne connais aucun athée qui pense que son père n’est allé nulle part. Il y a beaucoup de gens athées qui disent « quand nous mourons nous disparaissons », mais non. Alors, on va les mettre au Panthéon, on va faire l’Académie française où ce sont des immortels, c’est ridicule. La messe est une suite de la création, c’est la création à l’envers. Car, quand vous regardez la création d’en haut, à partir de Mars, de la Lune, vous ne voyez pas les détails. Mais tout à coup, quand vous descendez sur la Terre (cf comme le capitaine Haddock qui descend de la Lune, il est tombé par terre et il a dit « y a pas mieux que ce goût de sable qui est entré dans ma bouche »). C’est merveilleux Hergé. Il a failli mourir sur la Lune mais quand le capitaine Haddock a trébuché, il est tombé par terre et il a mangé de la terre. Et bien, c’était la communion du capitaine Haddock car il n’y a pas mieux que cette Terre.

Les détails que nous vivons aujourd’hui, ça a une valeur éternelle. Quand je dis en araméen « je vais m’approcher de Jésus » cela signifie que je vais m’approcher de sa façon de voir le monde, de voir les choses. Quand Jésus parle du prochain, ça veut dire celui dont je m’approche. Quand je m’approche de Jésus, c’est Dieu que je vois. La communion, c’est faire l’exercice de l’approche. Sans Jésus je ne peux pas m’approcher des autres. Jésus me donne la force de changer mon regard, mon cœur, mais parfois je n’y arrive pas, alors il faut aller prier (comme le publicain « aie pitié de moi Seigneur car je suis pêcheur »).
Pourquoi les chrétiens ont-ils supprimé la communion de leur vie ? Car ils ne comprennent pas. Quand Jésus dit qu’il faut manger son corps, beaucoup de ses disciples l’ont quitté car ils n’ont pas compris. Et toujours les chrétiens quittent Jésus à cause de ça car ses paroles sont trop dures.

Ainsi, ce n’est pas une question de dogme, on n’a pas de dogme chez nous mais une danse nuptiale. Quand vous allez dans un mariage, souvent celui qui danse bien se met à la tête.
L’histoire de l’Eglise c’est l’histoire d’une danse ; les noces de Dieu avec l’humanité. Certains dansent bien, d’autres moins bien. Nous sommes les serviteurs de la danse.
En Orient, dans la noce, il y a les amis de l’époux et il y a les invités. Les amis, c’est ceux qui disent à l’époux « la noce c’est nous qui allons te la faire ». Les habits de la noce, ce sont les habits des domestiques (le tablier du service). Les amis sont au service pendant la noce. Les amis sont les prêtres, diacres, laïcs, … et les invités sont ceux qui ne connaissent pas Jésus à qui ont offre un témoignage.

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