Mgr Mirkis : « Nous redonnons un avenir aux étudiants déplacés ! »

Mgr Mirkis : « Nous redonnons un avenir aux étudiants déplacés ! »

by Fraternité en Irak Actualité Etudiants Formation Kirkouk

ENTRETIEN – Depuis la fin de l’année 2014, Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk, accueille dans son diocèse, nourrit et loge des étudiants chassés de chez eux par Daech qui tente de poursuivre leurs études dans un contexte troublé. Il explique à Fraternité en Irak pourquoi une mobilisation pour ces jeunes gens est nécessaire. 

Fraternité en Irak : D’où viennent les étudiants déplacés que vous accueillez dans votre diocèse de Kirkouk ?

Mgr Yousif Thomas Mirkis : La plupart d’entre eux viennent de la plaine de Ninive. Quelques jeunes yézidis sont de la région de Sinjar. Nous avons une jeune fille kurde et une Arabe qui viennent d’Anbar, et aussi une mandéenne qui vient de Bagdad et qui s’est réfugiée à Kirkouk. Donc nous accueillons tout le monde. À ce jour, nous avons déjà reçu plus de 350 étudiants pour l’année universitaire 2015/2016, sans compter les étudiants de première année qui n’ont pas encore fait leur rentrée. L’administration a pris beaucoup de retard.

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FEI : Pourquoi ces jeunes viennent-ils étudier à Kirkouk ?

Mgr Mirkis : C’est un problème de langue. Ils étaient étudiants dans les universités de Mossoul ou Tikrit, dans un système en langue arabe. Lorsqu’ils ont été chassés de chez eux par l’État islamique durant l’été 2014, ils ont cherché à fuir le plus loin possible de Daech, c’est-à-dire dans les villes kurdes d’Erbil, Zakho, Dohuk ou encore Suleymaniah.

Mais là-bas, ils ne peuvent pas poursuivre leur cursus car ils ne parlent pas kurde. Voyant le temps passer, ils ont cherché une solution. Or Kirkouk est une ville qui dispose d’un système universitaire en arabe. Au début Kirkouk leur semblait une ville trop dangereuse car elle est seulement à 35 kilomètres du front avec l’État islamique, mais ils ont été encouragés par notre accueil, surtout les filles. C’est ainsi que j’ai vu arriver, dès la fin de l’année 2014, des jeunes venus repasser une ou deux matières, puis environ 70 qui ont passé l’année universitaire 2014/2015 à Kirkouk. Cette année, nous accueillons environ 400 jeunes. 

FEI : Quels sont leurs besoins ?

Mgr Mirkis : Ils n’ont rien ! Leurs familles sont déplacées et ont tout perdu lors de l’invasion du nord de l’Irak par l’État islamique. Eux se retrouvent dans une ville qu’ils ne connaissent pas, loin de leurs parents. Le diocèse leur offre donc le gîte. Nous avons déjà loué quinze grosses maisons qui servent de foyer. Nous leur fournissons aussi le couvert. À cela il faut ajouter la connexion internet pour qu’ils puissent travailler, il faut aménager les maisons, acheter des lits, des matelas, des machines à laver, etc. Il a fallu agrandir les réservoirs d’eau car ces habitations n’étaient pas faites pour qu’on y loge autant de personnes !

Ces étudiants sont doublement réfugiés : réfugiés matériels, mais aussi culturels. C’est pour cela qu’il était important pour moi de les accueillir sans condition. Je leur ai dit : « Je ne veux rien, seulement que vous réussissiez ! » L’an dernier, tous ont réussi leurs examens, et c’est moi qui les ai remerciés…

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FEI : Comment les étudiants vivent-ils cette situation ?

Mgr Mirkis : Ils sont à l’étroit, mais l’ambiance dans les foyers est excellente ! En se formant, en étant actifs, ils retrouvent leur fierté. Il y a un responsable par maison, ils cuisinent à tour de rôle. Depuis que nous avons reçu ces premiers « réfugiés culturels », nous n’avons pas eu de gros problème. Et puis la communauté chrétiennes de Kirkouk les a accueillis à bras ouverts. Les jeunes, surtout, sont tous bénévoles pour leur rendre service.

FEI : Ces étudiants sont-ils tentés de partir à l’étranger au lieu de rester en Irak ?

Mgr Mirkis : Bien sûr, pour des jeunes gens, et surtout pour les jeunes filles, il n’est pas évident de venir étudier à Kirkouk, loin de la famille, dans une ville qui est proche relativement proche de la ligne de front. Mais émigrer à cet âge-là est aussi risqué. Ils perdent les années d’études acquises en Irak et ils se retrouvent sans rien, obligés de réapprendre une langue et de faire des petits boulots alors qu’ici, ils se destinent à une carrière de médecin, d’ingénieur…

En les accueillant, nous leur donnons des perspectives. Voyant que nous sommes optimistes pour l’avenir, cela leur donne la force d’être optimiste aussi ! Une jeune fille que nous accueillons, Rand, qui fait sa troisième année de médecine à Kirkouk, a ainsi préféré rester en Irak plutôt que de profiter d’un visa pour la France dont bénéficie toute sa famille. Elle reste là alors qu’eux partent. Elle prend un gros risque mais pour nous c’est une source de réconfort. Dans trois ans, elle sera médecin et elle pourra être utile à la société irakienne.

FEI : Pourquoi est-ce important pour vous d’aider ces étudiants ?

Mgr Mirkis : Les chrétiens en Irak sont depuis toujours portés vers la santé et la culture. Notre poids en ces domaines est largement supérieur à notre nombre. À la fin de l’ère Saddam Hussein, les chrétiens représentaient 3 % de la population mais 40 % des médecins ! C’est pourquoi je crois qu’il est primordial de continuer cette mission pour notre pays.

Dans le diocèse de Kirkouk, l’école Mariamana que soutient Fraternité en Irak est une vraie réussite en ce sens. Et les réfugiés ne sont pas en reste. Juste un exemple. À Mariamana, nous avons accueilli des enfants réfugiés. Parmi eux, une petite fille, Cedra, arrivée en retard, au mois de décembre 2014. Je lui ai dit que si elle s’accrochait, nous la ferions passer dans la classe supérieure. Elle avait tout pour échouer. Elle avait du retard et elle n’avait pas de nouvelles de son père et de son oncle retenus par Daech. Eh bien ! non seulement elle a réussi l’année, mais elle a été la première de sa classe.

L’histoire de cette petite fille, comme celle des étudiants, vous montre que l’Irak n’est pas cette débandade permanente que présentent les médias. Avec peu, nous faisons beaucoup, l’espoir existe. À l’approche de Noël, cet accueil des étudiants prend un sens plus important encore. Nous devons être la consolation des pauvres. Nous ne répéterons pas la bêtise des gens de Bethléem qui ont refusé d’accueillir le Christ. Accueillir les étudiants, pour nous, c’est accueillir Dieu.

FEI : Comment les Français peuvent-ils aider ?

Mgr Mirkis : En premier, priez vraiment pour nous. Si la prière vient de part et d’autre, la bénédiction arrive et nous ne manquerons de rien. Je ne m’inquiète pas : nous ne refusons aucun étudiant et je suis sûr que le Seigneur nous donnera de quoi les accueillir.

Plus concrètement, j’ai besoin d’au moins 1,5 millions d’euros pour subvenir aux besoins des mes étudiants pour l’année 2015/2016. Grâce à vous, nous les aurons !

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FEI : En tant qu’évêque irakien, comment abordez-vous l’année de la Miséricorde ?

Mgr Mirkis : Je compte sur cette année, chez vous et en Irak, pour que la voix de la violence se taise et que la miséricorde traverse le monde. Peut-être qu’ainsi nous pourrons arrêter ce fléau. D’un part, il faut être ferme avec les gens qui sont violents et qui égorgent leurs semblables, d’autre part, il faut tout faire pour que les jeunes qui s’engagent aux côtés de Daech comprennent que cette aventure est sans issue. La violence ne sera jamais une porte de sortie, la violence n’a pas d’avenir.

Pour répondre à l’appel de Mgr Yousif Thomas Mirkis et aider les étudiants de Kirkouk, faites un don ! Merci à tous ceux qui parrainent déjà des étudiants !