Visite à Nimrod. De la légende à la destruction

Visite à Nimrod. De la légende à la destruction

HISTOIRE – Lors de la dernière mission de Fraternité en Irak, une équipe de volontaires s’est rendue sur le site archéologique saccagé par Daech de Nimrod, cité millénaire et mythique… Récit.

Nimrod, ville millénaire du nord de l’Irak, est l’une de ces « cités aux noms d’or ». Édifiée comme capitale de l’empire assyrien du IXe siècle avant JC, la ville s’est étendue sur plus de 360 hectares. Ses palais, ses bas-reliefs gigantesques, ses taureaux ailés majestueux, faisaient figures d’autant de légendes. Nommée à postériori du nom du personnage de la Genèse, elle existe dans l’histoire assyrienne sous le nom de Kalkhu, et sous le nom de Calah dans la Bible. Mais peu importe ses noms, quand pour la décrire, il suffit de confier la parole au roi assyrien Assurnasipal, son fondateur :

« Je dégageai les ruines anciennes et je creusai jusqu’au niveau de la nappe d’eau, atteignant une profondeur de 120 niveaux de briques. À l’intérieur je fondai pour toute éternité, en guise de résidence royale et pour mon plaisir souverain, un palais de cèdre, un palais de cyprès, un palais de genévrier, un palais de buis, un palais de meskannu, un palais de térébinthe et de tamaris. Je réunis et déposai à l’intérieur de grandes quantités d’argent, d’or, d’étain, de bronze et de fer, butin provenant des pays sur lesquels j’avais étendu ma domination. »

Et quelle domination : l’empire assyrien allait alors jusqu’au bord de la Méditerranée, et peu après, dans sa plus grande expansion, jusqu’en Egypte, à la limite du golfe persique et dans le sud de la Turquie actuelle. Cette cité fut donc la capitale d’un empire, le centre d’un monde, d’une civilisation. Cela, à une époque où Rome n’était qu’un village et où en Grèce, débutait la période dite archaïque.

Aujourd’hui nous nous tenons sur le site de Nimrod. Il est difficile de concevoir que nous marchons sur un site archéologique majeur. Il n’en reste plus rien. Rien que des pierres éclatées, des gravats et de la poussière.

Dès notre arrivée, on nous montre le tell éventré. Signe de l’occupation successive pendant des siècles d’un site, un tell est une sorte de colline formée de l’accumulation des vestiges, époque après époque. Celui du site de Nimrod est ouvert en deux par une plaie béante, ravagé. Il n’avait jamais été fouillé jusqu’à présent. Nul ne sait l’importance des objets mis à jours par Daech ni ce qu’ils sont devenus, détruits ou revendus au marché noir.

Nous poursuivons la visite du site. Sous une simple bâche, les fragments des taureaux ailés ont été rassemblés. Majestueux, imposants de par leur hauteur et leur masse, ils gardaient avec solennité, les portes du palais. Il n’en reste plus qu’un tas de gravats, difficilement identifiables. Là, on croit deviner une patte, là peut être un morceau du corps. Des objets qui avaient traversé 3000 ans d’histoire presque intacts, détruits en un instant…

 

 

Sur un mur, un bas-relief a miraculeusement échappé à la destruction. Sa hauteur et sa splendeur, rendent encore plus amer le constat : hier, ce n’était qu’un bas-relief parmi plein d’autres. Aujourd’hui, seul rescapé de la destruction, il se tient là, comme un ultime cri. De ce qui était avant une galerie aux murs couverts de stèles, il ne reste que des débris. Là, un fragment de pierre avec de l’écriture cunéiforme, là un reste de sculpture. Et encore, il ne s’agit que des morceaux identifiables. Mais combien sont là, sous nos pieds perdus à jamais, soigneusement martelés, défigurés avant d’être rasés au bulldozer et à l’explosif ?

Sur ces palais et ces temples, le temps avait fait son œuvre, érodant patiemment les édifices et les pierres, destin inéducables des cités déchues. Mais il en restait encore un témoignage, une trace. Les plans des palais étaient encore identifiables, les sculptures racontaient encore la splendeur d’une civilisation foisonnante, il y a presque 3000 ans. Il était possible de se représenter la ville, son organisation, d’étudier le site d’en comprendre une partie de son histoire.

Aujourd’hui, cette histoire est presque totalement effacée. Ses pauvres restes gisent là, sur le sol. Si rien n’est fait rapidement pour récupérer et trier ces débris, si rien n’est tenté pour aider les Irakiens à conserver ces derniers restes de leur histoire, alors Daech aura réussi jusqu’au bout dans sa volonté de destruction. Il ne s’agit pas seulement de l’histoire d’un pays ou d’une région, mais bien de l’histoire de l’humanité dont il est question et pour laquelle il est urgent d’agir.

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