L’Irak dans le Moyen-Orient, une lecture géopolitique

L’Irak dans le Moyen-Orient, une lecture géopolitique

by Fraternité en Irak Actualité Conférences Vie de l'association

CONFERENCE – Pays aux richesses convoitées situé à la frontière de la Syrie, de l’Iran, de la Turquie et de la péninsule arabique, l’Irak est caractérisé par une histoire tourmentée faite d’affrontements sanglants qui ont rarement épargné les populations. Dans son livre Le nouvel Irak, un pays sans Etat (2009), Georges Malbrunot dresse un tableau pessimiste de l’avenir de ce pays. Le journaliste du Figaro a donné pour Fraternité en Irak une conférence revenant sur 35 ans de cette tragique descente aux enfers. Compte-rendu.

La guerre Iran-Irak

À compter de 1968, l’Irak est sous la direction du parti Baas, qui en arabe signifie la « résurrection ». Ce parti qui allie socialisme, panarabisme et laïcité a fait bénéficier le peuple irakien d’avantages sociaux comme la santé publique et l’éducation gratuite. Ainsi, en 1979, l’Irak a reçu le prix Unesco pour le droit des femmes. Cependant, le destin de l’Irak a basculé quand son chef d’Etat Saddam Hussein, arrivé au pouvoir en 1979, a déclaré la guerre à l’Iran, en 1980.

Issu de la minorité sunnite, Saddam Hussein veut s’opposer à la volonté iranienne d’exporter la révolution islamique. Il craint en effet un soulèvement de la majorité chiite qui compose son pays. Néanmoins, l’attitude d’une grande partie des chiites est singulière car beaucoup de ces irakiens restent loyaux à Saddam Hussein et ne combattent pas avec les Iraniens. En Irak en 1980, l’appartenance ethnique célébrée par le baassisme prévaut sur le fait religieux. Par conséquent, les chiites irakiens arabes se distinguent des chiites iraniens persans. En 1988, le résultat de cette guerre est un million de morts et les deux pays en sortent affaiblis, sans vainqueur notable.

L’Irak, ses alliés et ses ennemis

La France de la Ve République a toujours été une alliée de l’Irak. A l’arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir, l’Irak représente un enjeu stratégique pour la France et devient rapidement un important partenaire économique. En 1968, la France est le cinquième fournisseur d’armes de l’Irak. En 1972 sous Pompidou, la France renforce ses approvisionnements de pétrole irakien et Chirac au pouvoir considère Saddam Hussein comme « un ami ».

Voisine de l’Irak, la Syrie a connu une période baassiste, mue par un même idéal panarabe. Toutefois à partir de 1970, quand Hafez Al-Assad, le père du président actuel, prend le pouvoir, la politique extérieure syrienne s’oriente progressivement vers un nouvel allié, l’Iran. La Syrie est le seul pays arabe à soutenir l’Iran contre l’Irak. Georges Malbrunot raconte que quand il discutait avec Mohsen Rezaï, un des chefs des gardiens de la révolution islamique en Iran, ce dernier lui disait que l’Iran ne pourrait pas abandonner Bachar Al-Assad car Téhéran avait une forte dette envers la Syrie depuis la guerre 1980-1988.

Détérioration des relations Irak-Occident

La France a beaucoup investi en Irak, par exemple en construisant des autoroutes ou encore l’aéroport de Bagdad. Les gaullistes voyaient dans Saddam Hussein un partenaire solide, défenseur d’un régime laïc. En 1985 plus de 11 000 français travaillaient en Irak. Le premier ministre Raymond Barre était très impressionné par Saddam Hussein et il entretenait avec lui une excellente relation personnelle. Georges Malbrunot raconte que lors d’une visite du ministre français à Bagdad, Saddam Hussein est allé l’accueillir avec sa propre voiture à l’aéroport, ce qui traduisait l’honneur qu’il avait d’entretenir cette amitié. L’Irak était aussi soutenu par d’autres pays occidentaux qui appréciaient la diversité des ministres de Saddam Hussein et notamment son ministre des affaires étrangères, le chrétien Tareq Aziz. Néanmoins, des tensions apparaissent entre l’Irak et ses alliés occidentaux car Bagdad n’a plus les moyens de payer ses dettes.

En 1990, le Koweit fait baisser les cours du pétrole dont l’économie de l’Irak est extrêmement dépendante. Saddam Hussein attaque donc ce pays en représailles. Il est persuadé qu’il obtiendra le soutien de ses alliés occidentaux. Mais ceux-ci répondent en imposant un embargo sur l’Irak en 1991 et une coalition internationale prend la défense du Koweit et porte un violent coup à l’Irak.

Descente aux enfers de l’Irak

À la suite de la guerre de 1991, l’Irak est fragilisé. En 1997, l’ambassadrice américaine aux Nations unies Madeleine Albright disait que tant que Saddam Hussein serait au pouvoir, il n’y aurait pas de levée de l’embargo et que le peuple irakien en subirait les conséquences. Dans ce contexte de tensions, la France de Jacques Chirac garde une position singulière illustrée par le discours de Dominique de Villepin devant l’assemblée générale des Nations Unies en 2003 où il s’oppose à l’intervention militaire en Irak.

Jacques Chirac ne s’y est pas trompé : en détruisant l’Etat irakien, la coalition militaire dominée par les Etats-Unis a porté un coup fatal à l’unité de la société et a permis un réveil inédit du sentiment religieux. En 3 semaines de guerre le régime de Saddam Hussein tombe. Mais les Etats-Unis n’avaient pas préparé l’après-guerre. Ils commettent alors toutes les erreurs possibles : ils renforcent l’autonomie du peuple kurde au nord de l’Irak et donnent le pouvoir à la majorité chiite opprimée par le régime de Saddam. La volonté américaine de créer ex-nihilo un nouvel Etat démocratique se fait dans un premier temps par un vaste programme de dé-baassification et de démobilisation de l’armée, de la police et des renseignements irakiens. Ces anciens fonctionnaires sont humiliés et limogés sans aucune compensation. Comme le dit Georges Malbrunot « ils sont partis avec leur armes et leur tapis de prière ».

Dans un second temps la nomenclatura sunnite est entièrement remplacée par de nouveaux dirigeants chiites protégés par les Etats-Unis. Parmi eux, beaucoup sont partis en 1979 se réfugier en Iran et ont été mal accueillis à leur retour au pays. Il y a alors eu des tensions au sein même de la communauté chiite irakienne. De plus, les dirigeants chiites discrédités sont la cible d’attaques à partir de 2005-2006 par Al-Qaida, qui fédère par sa violence certains groupes armés dont on verra l’avatar avec Daesh. La seule région stable est le Kurdistan irakien qui a été le grand vainqueur de cette nouvelle configuration, avec la mise en place d’institutions fédérales favorisant son autonomie. En outre, les américains essaient de calquer le modèle confessionnel libanais en Irak en instaurant un régime fondé sur un partage du pouvoir entre un premier ministre chiite, un président de la république kurde et un président du parlement sunnite.

Forces et faiblesses de l’Irak

Mais déjà à partir de 2003, il n’y a presque plus de sentiment d’appartenance nationale en Irak et il n’y a plus d’unité dans le pays. La tragédie de ce pays tient d’une confessionnalisation de la société exacerbée par des tensions géopolitiques régionales dues à différents enjeux : les chiites sont soutenus par l’Iran, les sunnites sont protégés par les monarchies du Golfe, les Kurdes sont défendus par les Etats-Unis et les occidentaux…

L’identité nationale a explosé en Irak. Plus grave encore, la fragmentation ne sépare pas seulement les religions entre elles, elle touche également les confessions en leur sein. L’Irak est un pays où le leadership est discrédité dans toutes les communautés. Les Kurdes sont aujourd’hui sous la présidence de Barzani, chef du Parti démocratique kurde (PDK). Ce dernier affronta les Kurdes de l’Union patriotique kurde (UPK) de Talabani entre 1994 et 1996 et a fait appel à Saddam Hussein pour chasser ces derniers du nord de l’Irak. Talabani devient président de l’Irak en 2005, mais l’unification des peshmergas n’a pas lieu. Les Kurdes du PDK de Barzani regardent vers l’occident tandis que les Kurdes de l’UPK alliés aux Kurdes du PKK turc appartiennent à l’internationale socialiste.

Au sein des populations chrétiennes, rester ou fuir fait débat. Il y avait 1 400 000 chrétiens en 2003 et aujourd’hui il en reste moins de 500 000. La majorité n’a pas envie d’émigrer mais la pauvreté et les conditions de vie dans les camps de réfugiés du nord de l’Irak affaiblissent considérablement leur moral.

L’Irak reste un pays riche en eau, car entouré de deux grands fleuves ; riches en hommes, avec 25 millions d’habitants bénéficiant à l’origine d’une éducation de qualité ; riche en pétrole enfin, étant la cinquième plus grande réserve du monde. Mais l’Irak est aussi touché par une profonde corruption depuis Saddam Hussein jusqu’à aujourd’hui. Quand le président Sarkozy essaie d’inciter les industriels français à retourner en Irak en 2007-2008 à l’époque du premier ministre Al-Maliki, la violence et la corruption les en dissuadent. D’ailleurs, l’ayatollah Ali Al-Sistani, qui est très influent en Irak depuis la fin du régime de Saddam Hussein, a critiqué le gouvernement d’Al-Abadi cet été 2015 en essayant de le convaincre de faire rapidement des réformes contre la corruption.

La réalité tribale de l’Irak

Les Etats-Unis n’ont pas réalisé en 2003 que l’Irak était un Etat tribal jusqu’à ce que les tribus organisent une guérilla contre l’occupant américain. En 2007 les Etats-Unis ont changé leur stratégie et décidé de ne plus s’aliéner les tribus. Certaines tribus ont même reçu des sommes d’argent afin qu’elles se retournent contre Al-Qaida. L’intérêt des tribus est d’être maître d’une circonscription, de leur territoire tribal. Ainsi, en échange de leur Sahoua – fils des tribus – engagés aux côtés des forces militaires irakiennes pour réduire Al-Qaida et permettre aux américains de quitter l’Irak dans des conditions acceptables, les tribus espéraient voir leurs jeunes engagés dans l’armée et l’administration, permettant ainsi un retour progressif des sunnites dans le système irakien.

Résultat des combats : Al-Qaida est diminué, mais le premier ministre Al-Maliki manque à sa parole donnée aux 100 000 ou 120 000 jeunes qui avaient accepté de se battre aux côtés des armées irakiennes. La minorité sunnite est humiliée une fois de plus. Entre 2011 et 2012, Al-Maliki réprime des manifestations dans les provinces sunnites de manière violente, alors que les sunnites demandent simplement à être réintégrés dans les circuits de l’Etat. De ce contrat non respecté, Al-Qaida sort revigoré. Le groupe terroriste attaque des prisons, comme celle d’Abou Ghraib, et libère nombreux chefs rebelles. Ainsi, dans certaines régions sunnites comme Mossoul émerge peu à peu l’Etat Islamique au Levant qui, déjà, impose son autorité à la population locale.

La composition de Daech

Derrière le Califat islamiste salafiste, l’ossature de Daesh est composée, pour une grande partie, d’anciens cadres de Saddam Hussein, de ses milices, de baasistes humiliés, de membres des services de renseignement limogés. En somme, beaucoup de ces personnes ont été écartées du pouvoir par les américains et les chiites et/ou ont été radicalisées en prison, à Abou Ghraib ou à Bassora où ils ont abandonné leurs oripeaux baassistes et se sont convertis au djihadisme avec l’espoir d’une revanche sur les chiites. Ces cinquantenaires qui se sont battus contre les iraniens en 1980, qui ont gazé les Kurdes en 1988 à Halabja, qui ont réprimé les chiites au sud et qui ont combattu les américains en 1991 et en 2003 sont donc des combattants aguerris par 30 ans d’expérience militaire. La violence démesurée de Daesh découle de ces traumatismes.

Perspectives pour l’Irak

Le premier ministre Nouri Al-Maliki arrive au pouvoir en 2006. Au cours de son premier mandat, il inspire confiance au peuple irakien et aux occidentaux. En 2008-2009 il a même combattu les milices chiites à Bassora. Mais en 2010-2011 Al-Maliki devient un leader sectaire. L’irak devient alors le théâtre d’une escalade de violences et d’une montée de la radicalisation sunnite. En janvier 2014, c’est la prise de Falloujah par Daesh, puis arrive celle de Mossoul en juin 2014.

L’armée irakienne est faible et repose beaucoup sur les milices chiites, mais celles-ci sont très anti-sunnite et, lorsqu’elles libèrent une ville comme Tikirit en mars 2015, elles se livrent ensuite à des massacres. Toutefois, certaines victoires irakiennes sont le résultat des seules unités anti-terroristes irakiennes, comme c’est le cas dans la reprise de Ramadi le 28 décembre 2015, avec un fort appui américain tout de même. On peut douter de la qualité des forces irakiennes formées par les américains depuis 10 ans, quand on rappelle leur fuite devant l’avancée de Daesh… Mais au cours de l’année 2015 il y a quand eu même une perte territoriale de 30 à 40 % pour Daesh qui a perdu Tikrit, Ramadi, Baïji et le mont Sinjar. Il est donc permis d’espérer que la situation en Irak se stabilise et que les minorités finissent par retrouver un jour des conditions de vie acceptables.