Joies et peines d’une famille de réfugiés de la plaine de Ninive à Erbil

Joies et peines d’une famille de réfugiés de la plaine de Ninive à Erbil

by Fraternité en Irak Actualité Erbil Urgence Vie quotidienne

Fraternité en Irak vous propose une série d’articles pour mieux saisir la réalité de la vie quotidienne des déplacés de la plaine de Ninive dans les « camps » d’Erbil.

RENCONTRE – Au fil de leurs séjours mensuels en Irak, les membres de Fraternité en Irak tissent des liens avec des familles visitées régulièrement. Celles-ci confient leurs joies et leurs soucis rencontre après rencontre. Récits croisés de deux membres de Fraternité en Irak.

> À lire aussi : REPORTAGE – À la rencontre des « réfugiés entrepreneurs » du camp d’Ashti

> À lire aussi : TEMOIGNAGE – L’eau, un défi quotidien pour les déplacés dans les camps

Ankawa Mall – Pâques 2015

420 familles déplacées s’entassent depuis huit mois dans ce centre commercial inachevé à Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil. À la fin de l’automne 2014, alors que l’hiver approchait, elles ont quitté les tentes de toile et ont été relogées ici. Pour leur permettre d’avoir un minimum d’intimité dans ce grand hall sonore, Fraternité en Irak a construit à la hâte avant leur arrivée des box sur deux étages de l’édifice, mais ceux-ci n’ont ni fenêtre donnant sur l’extérieur, ni aération. Chaque famille occupe une unique petite pièce et partage avec tout l’étage de sommaires sanitaires.

Ankawa-mall-paques

À Pâques, l’Ankawa Mall vu de l’extérieur. Les familles qui y sont hébergées déménageront quelques semaines plus tard pour le camp de mobil-homes d’Ashti 2 – © Fraternité en Irak

Une des missions de Fraternité en Irak est de visiter ces familles : prendre le temps de les écouter, de jouer avec les enfants, d’évaluer leurs besoins pour mettre ensuite en place des actions pour les aider concrètement. En entrant dans l’Ankawa Mall, nous sommes saisis par la rudesse du lieu, le bruit, l’absence d’intimité, ces enfants qui courent vers nous et les adultes qui se lèvent pour venir à notre rencontre. Un sourire aux lèvres, malgré la fatigue qui se lit sur leur visage.

Trois petites filles nous entraînent à l’étage dans ce qui est désormais leur maison. Steven, un jeune homme d’une vingtaine d’années, passe la tête par la porte. Il se joint à nous un moment. Son sourire et ses yeux rieurs contrastent avec la difficulté de sa situation. Étudiant à Mossoul, le voilà réfugié à Erbil avec son frère et ses parents qui habitaient Qaraqosh. Il nous prie de venir visiter sa famille qui occupe le box d’en face.

À Pâques, visites des familles qui vivent dans l’Ankawa Mall. À droite, Steven – © Fraternité en Irak

Quand nous entrons chez eux, ses parents, Jeannette et Laith, sont heureux de nous montrer sur leur portable, dès notre arrivée, des photos des volontaires des missions précédentes. Comme la plupart des déplacés, ils ont perdu tous leurs biens et leurs souvenirs et sont donc contents de nous montrer ceux qu’ils ont pu recréer depuis l’exode. Jeannette partage avec une volontaire son parcours d’infirmière, comme elle. Steven est fier de nous témoigner de son bénévolat auprès des enfants. Il aide Abouna Jalal, que l’association connaît bien pour avoir organisé avec lui des activités pour les plus jeunes à Qaraqosh, puis à Erbil.

Jeannette et Laith nous partagent leur appréhension de devoir déménager bientôt dans le camp de caravanes d’Ashti construit par le gouvernement irakien à la lisière de la ville d’Ankawa. Ils redoutent la chaleur de l’été. Ils n’ont aucune idée de l’aménagement de ces mobil-homes. Nous leur présentons des photos prises la veille lors de la visite de ce grand camp de centaines de caravanes encore vides. Ils se réjouissent du coin WC-douche et du coin cuisine qui amélioreront leur confort. Tous très émus, nous les quittons les larmes aux yeux.

Le lendemain nous reviendrons leur apporter, à leur demande, de l’eau de Lourdes, offerte par des religieuses françaises. Steven sera pour la fin de cette mission notre guide et notre interprète auprès des autres familles. Il nous redit combien les gens sont heureux d’être écoutés et visités.

Juillet 2015 – Camp Ashti 2

Les familles d’Ankawa Mall, rejointes par d’autres, occupent plus de 1 000 caravanes. Le camp donne l’impression d’être écrasé par la chaleur. Certaines familles ont décoré leur caravane ou encore construit une petite extension. Dans les allées de ce village de mobil-homes, la vie reprend doucement le dessus. 

vue ruelle camp ashti

Dans les « allées » du camp d’Ashti 2 – © Fraternité en Irak

Nous retrouvons Jeannette et Laith, qui nous accueillent avec le sourire et s’empressent de nous montrer les photos prises à Pâques ensemble, et leur coin prière aménagé dans un angle d’une des deux petites pièces de leur caravane. Ils y ont disposé l’eau de Lourdes offerte lors de notre visite à Pâques.

Leurs fils sont toujours sans activité professionnelle. Ils se confient sur la difficulté de leur vie : la chaleur, la poussière et l’ennui sont les trois principaux problèmes. Comme toutes les familles rencontrées, ils nous expliquent les six heures quotidiennes de coupure d’électricité, tant redoutées. Au cours de notre visite, la fameuse coupure survient. Mi-ironiques, mi-dépités, ils nous proposent donc de rester 6 heures pour attendre avec eux et expérimenter leur réalité… « Nous sommes comme dans un four », soupire Jeannette. Laith nous dit que l’homme ne vit pas seulement de pain et d’eau mais que « le psychisme » doit être pris en compte. « Nous nous sentons emprisonnés, la vie est difficile, nous sommes tristes. Nos familles, parents et amis sont éparpillés. Nous restons là sans rien faire toute la journée et nous ne nous voyons pas émigrer en Europe car nous ne parlons pas de langue étrangère », explique-t-il.

Des enfants réparent de vieux vélos dans le camp d’Ashti – © Fraternité en Irak

Nous prenons des nouvelles de la santé de Laith. Il est amputé depuis plusieurs années de la jambe gauche. Sa prothèse est inadaptée, mais il faut attendre trois ans pour la renouveler. Il souffre de douleurs fantômes relatives à son membre amputé que les médecins généralistes dans les dispensaires n’arrivent pas à soulager. Elles nécessiteraient donc une prise en charge adaptée. Les hôpitaux privés kurdes sont trop onéreux pour la famille Nafaï. Lorsque nous leur demandons s’il y a des spécialistes chrétiens dans les camps, ils nous disent qu’ils ont tous émigré en Europe… Passer du temps avec les familles dans ce grand camp de déplacés fait aussi prendre conscience des limites de notre action et de notre impuissance à répondre à tous les problèmes soulevés au fil des discussions.

Entre le thé et les gâteaux, les conversations roulent sur d’autres sujets. Nous les quittons heureux de ces retrouvailles et de ce moment partagé. Ils sont la preuve que nous pouvons tisser des liens fraternels et gratuits avec toutes ces familles.