Retour au couvent de Mar Behnam tout juste libéré

Retour au couvent de Mar Behnam tout juste libéré

TÉMOIGNAGE  Mercredi 23 novembre Fraternité en Irak a pu se rendre pour la première fois depuis sa libération au couvent de Mar Behnam, aux mains de Daech depuis le 12 juin 2014. Pour l’association qui connaît bien l’endroit pour s’y être rendue plusieurs fois avant l’arrivée des djihadistes, c’est à la fois une joie et un choc. Récit. 

Dimanche 20 novembre l’armée irakienne a annoncé avoir repris le couvent de Mar Behnam, situé dans le village de Khidr-Basatlia à environ 12 kilomètres au sud ouest de Qaraqosh. Cependant la 9eme division de l’armée irakienne appuyée par des éléments de la mobilisation populaire n’a repris complètement le contrôle du village et des routes qui y mènent que le mardi 22 novembre.

Sur la route de Khidr-Basatlia

La récente présence de Daech est visible

Fraternité en Irak à Mar Behnam en 2011

Sur la route menant au village de Khidr-Basatlia, la présence récente de Daech est encore visible. De chaque côté de la route sont alignés des pneus que les djihadistes n’ont pas eu le temps d’enflammer. Un peu plus loin une voiture piégée avec son blindage gît sur le côté. Les djihadistes avaient même coupé la route avec un profond fossé que l’armée irakienne a déjà comblé. Les trois villages que nous traversons, sunnites et shabaks, sont vides de leurs habitants mais gardés par un nombre important de soldats de la mobilisation populaire et de l’armée irakienne.

Dès l’entrée dans le village de Khidr-Basatlia nous apercevons avec soulagement les bâtiments du couvent. Ils sont debouts. Le porche d’entrée est protégé par plusieurs véhicules blindés. Il a été recouvert d’inscriptions à la bombe. Celles inscrites pas Daech ont été recouvertes par l’armée irakienne.

Daech a fait exploser le tombeau de Mar Behnam

Une fois dans la cour, c’est le vide qui frappe et attire le regard : le dôme et le bâtiment du tombeau de Mar Behnam ne sont plus là. Nous savions que Daech l’avait fait exploser mais le voir est un choc. Immédiatement notre groupe mené par Monseigneur Pios Affas, le vicaire épiscopal du diocèse syriaque catholique de Mossoul-Qaraqosh se dirige vers le mausolée détruit. Après nous être assurés que les abords n’étaient pas minés nous nous approchons du cratère laissé par l’explosion. Là, entouré des soldats venus en nombre, Monseigneur Pios Affas entonne l’hymne dédié à Mar Behnam en syriaque avant que tous ne reprennent en cœur avec lui la prière du Notre Père.

Puis nous commençons à examiner les dégâts ; l’explosion a nettement détruit les deux tunnels qui permettaient d’accéder au tombeau. Le général Behnam Aboush, commandant la milice chrétienne des Nineveh Protection Unit (NPU), descend parmi les gravats pour évaluer l’ampleur de la destruction. Le tombeau de Mar Behnam est profondément enterré et on y accédait avant par deux souterrains. Il est difficile de distinguer ce qui a été détruit de ce qui a été enseveli. Un militaire irakien nous explique qu’une partie des décombres a probablement été piégée.

Un joyau de l’art médiéval saccagé

Après cette première constatation, nous nous dirigeons vers l’église du couvent, joyaux de l’art médiéval chrétien en Irak. En entrant, nous sommes pris par la colère et la tristesse. L’ampleur du saccage est terrible. Toutes les sculptures représentant la croix ou des formes humaines ou animales ont été méthodiquement martelées. Ce tympan entièrement sculpté, unique au monde, constitué de pierres imbriquées les unes dans les autres a été défiguré. Partout apparaissent les tâches blanches du travail de démolition.

Nous cherchons les détails dont nous nous souvenons : la discrète croix éthiopienne sculptée sur un montant de porte a été détruite. Nous cherchons du regard le linteau où  se trouvait la croix devenu le symbole de Fraternité en Irak : elle aussi a disparu. Plus haut c’était une immense croix orientale dont les bras ont été coupés. Au milieu c’est une tête de lion qui a été effacée, sur un linteau la sculpture représentant deux paons a elle aussi été détruite. La statue de Mar Behnam à cheval, datant du 16ème siècle, à été complètement détruite. En face, celle de sa sœur Sara, martyre comme lui, a elle aussi été démolie.

Nous nous dirigeons alors vers la porte la plus richement sculptée où une calligraphie entrelacée du Notre Père en araméen avoisinait la représentation stylisée de moines en prière qui, suivant la manière dont ils étaient vus, pouvaient aussi être une calligraphie du mot « Aloho »: « dieu » en araméen. Hélas, toutes ces sculptures ont été saccagées.

La chapelle de la Vierge épargnée

Avec Monseigneur Pios Affas nous nous précipitons alors pour voir si l’autre joyau du sanctuaire est intact : la chapelle de la Vierge. Nous levons les yeux et là, ô joie, les djihadistes n’ont pas touché à la sublime voûte aux multiples arcades datant du 12ème siècle. Élancées vers le ciel, ces dômes sur lesquels sont inscrits des prières à Marie semblent avoir vaincus par leur beauté l’acharnement destructeur des membres de Daech.

« Les djihadistes n’ont pas touché à la sublime voûte aux multiples arcades datant du 12 ème siècle. Élancées vers le ciel ces dômes, sur lesquels sont inscrits des prières à Marie, semblent avoir vaincus par leur beauté l’acharnement destructeur des membres de Daech. »

Naturellement nous repensons alors à notre première venue à Mar Behnam en 2011, Monseigneur Francis Djahola qui aimait tant ce lieu, nous avait accueillis. Depuis, il est décédé et a été enterré dans une chapelle latérale. Nous retrouvons sa pierre tombale démolie, très peinés…

Heureusement les autels sont tous intacts et le baptistère taillé d’une seule pièce dans la pierre n’a pas été cassé. Les chapelles latérales sont, elles, quasiment intouchées. Les encadrements intérieurs des portes d’entrée sont eux aussi en plutôt bon état.

Une fois ressortis, nous nous éloignons pour voir l’état de la façade. Avant s’étalaient en grand le Notre Père et le Je Vous Salue Marie accompagnés de deux sculptures de Mar Behnam et Sainte Sara. De tout cela on ne distingue plus grand chose. Même la croix faîtière a été brisée. Plus loin dans la cour des bâtiments conventuels, un gros tas de cendres témoigne de l’autodafé auquel s’est livré Daech : quelques pages de carnet de chants et une broderie de la Vierge gisent, par terre, rescapées des flammes.

La tombe de Mar Behnam est-elle détruite ?

Chacun de nous reste inquiet : plus tôt en nous approchant du mausolée de Mar Behnam, nous ne sommes pas parvenus à voir si la tombe était détruite. Nous décidons de monter sur le tell antique (petite colline) qui domine le tombeau. Puis de là, avec précaution, par crainte d’éventuelles mines, nous réussissons à apercevoir un linteau qui émerge des gravats. Nous nous approchons et, émerveillés, constatons que les trois quarts de la tombe semblent quasiment intacts. Cela signifie qu’elle n’a pas été détruite par une explosion comme nous le craignions : c’est un grand soulagement !

Le défi de la reconstruction

Aujourd’hui, Fraternité en Irak est revenue en un lieu fondateur pour ses membres. L’enjeu de cette longue visite était de faire un état des lieux le plus précis possible. Vous le savez, depuis plusieurs mois, Fraternité en Irak s’est engagé auprès de Monseigneur Petros Mouché à l’aider à reconstruire Mar Behnam. Désormais les prochaines étapes sont plus claires. Les voici : 

> Reconstruction du tombeau

– établir le diagnostic de déminage
– construire un auvent destiné à abriter les pierres et les débris
– déblayer les pierres et gravats
– numéroter et répertorier les éléments réutilisables
– couvrir avec un toit en bâche la salle du tombeau
– reconstruire le dôme et la voûte intérieure de la salle du tombeau.
– reconstruire la partie détruite des deux souterrains

> Restauration de l’église

– nettoyer les inscriptions laissées par Daech
– répertorier toutes les statues détruites et les mettre en regard de leurs originaux
– trouver en Irak ou en Europe un spécialiste de la restauration de statues en pierre
– restaurer/reconstituer à l’identique les statues

Une première estimation porte à 350 000 Euros le budget de ce chantier. Nous allons l’affiner avec les architectes irakiens de Fraternité en Irak et vous tenir informés aussitôt que nous aurons un budget plus précis.

Ce lieu est aussi important pour les chrétiens d’Irak que la cathédrale de Chartres pour les Français. Aidez-les à sauver leur patrimoine. Donnez !

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