VIE QUOTIDIENNE – Dans le grand camp de déplacés chrétiens d’Ashti, à Erbil, une chorale s’est reformée autour de l’église Al Bichara construite par Fraternité en Irak l’an dernier. Rencontre.
En octobre 2015, lors de l’inauguration de l’Église Al Bichara, le P. Emmanuel, responsable du camp d’Ashti où vivent plusieurs milliers de personnes, avait lancé un appel à tous les volontaires pour remonter une chorale. Depuis, vingt-deux femmes âgées de 17 à 40 ans, toutes habitantes du camp, accompagnées d’un chef de choeur, ont monté un ensemble vocal qui anime les huit chants liturgiques de la messe du dimanche.
Youssef, le joueur d’oud
Youssef Touzer, 44 ans, le chef de choeur, vient de Mossoul où il travaillait comme chauffeur de bus. Il a fui à l’arrivée de l’État islamique en juin 2014 : « pour eux, j’étais un kouffar (un mécréant, ndlr) car je chantais des chants non islamiques ! », explique-t-il. Aujourd’hui, dans le camp d’Ashti, ce joueur d’oud, un instrument à cordes pincées, est sans emploi. « J’aurais pu être professeur d’oud ou de chant, mais ici, les gens sont trop pauvres », regrette-t-il. Autodidacte, Youssef a appris le chant et l’oud à l’âge de 12 ans. Il compose désormais ses propres mélodies à partir de poèmes arabes classiques ou contemporains.
La majorité des chanteuses du nouveau choeur d’Al Bichara faisaient partie d’une chorale à Qaraqosh ou à Mossoul. Youssef en connaissait déjà plus de la moitié, lorsqu’il accompagnait de l’oud les nombreuses chorales de la région. Les femmes se réunissent trois fois par semaine pour répéter. Toutes affirment que le niveau a baissé par rapport aux chorales de Qaraqosh : les groupes se sont dispersés et les nouvelles ont encore à apprendre…Youssef effectue une sélection à l’entrée de la chorale : il faut un certain niveau pour chanter à Al Bichara !
La chorale forge des amitiés
Mais qu’importe, au fond, le niveau. Pour les choristes, les répétitions sont une bouffée d’oxygène et un vrai moment de joie. « Ici, nous sommes avec Dieu, ailleurs, c’est la pagaille ! », s’exclame l’une d’entres elles. Les vingt-deux femmes sont devenues amies au fil des retrouvailles chez les unes ou chez les autres. La chorale est une des rares activités pour ces Irakiennes qui s’ennuient dans leurs petits mobil homes.
Le chant liturgique syriaque est principalement construit autour de deux voix qui dialoguent : qarar (alto) jouar (soprano). Ce type de musique est complètement différent de la musique occidentale. Alors qu’en France nous utilisons principalement deux types d’accords, mineur et majeur, la musique irakienne en connaît sept ! Ainsi d’après Youssef, la musique orientale est beaucoup plus diversifiée. Elle réveille les passions humaines les plus fortes : tristesse, nostalgie, joie, etc. là où la musique occidentale reste beaucoup plus rationnelle.
Chanter pour s’évader
« C’est cette profondeur de la musique orientale qui m’attire, confie Youssef. Quand je commence à jouer de la musique, j’oublie tout, le camp, les caravanes… Je passe de l’enfer au paradis. La musique est la nourriture de l’esprit. Chanter permet de s’évader, comme une certaine ivresse. J’oublie que je ne suis pas à Qaraqosh et j’oublie même mon prénom. Chanter m’aide à prier, c’est là que je rejoins Dieu. Cependant j’ai peur que les gens ne viennent à l’église que pour la musique ! La musique est le chemin vers Dieu. Il ne faut donc pas adorer la route… »