TRIBUNE – Pour Faraj Benoît Camurat, président de Fraternité en Irak, l’urgence humanitaire en Irak est de libérer la partie orientale de la plaine de Ninive pour permettre aux déplacés chassés par l’Etat islamique de rentrer chez eux.
» Il y a six mois, dans la nuit du 6 au 7 août, Daech envahissait la plaine de Ninive, jetant sur le chemin de l’angoisse et de l’errance plusieurs centaines de milliers de personnes. Entre minuit et 3 heures du matin, dans un chaos indescriptible, ces familles ont abandonné leur maison et la plupart de leurs biens. La plaine de Ninive, berceau des minorités religieuses d’Irak, a été vidée en quelques heures de ses habitants. Plus de 140 000 chrétiens, environ 300 000 yézidis en incluant les familles de Sinjar, et des centaines de membres des minorités kakaïs et chabaks se sont retrouvés dénués de tout.
Depuis six mois, ils vivent dans des tentes, des bâtiments en construction ou même dehors. Les fortes chaleurs de l’été ont été remplacées par l’hiver rude du Kurdistan et ses fortes pluies. Depuis six mois, des mamans font des contorsions pour laver leurs jeunes enfants dans des douches de fortune. Depuis six mois des milliers de yézidis ne peuvent plus prier dans leurs temples détruits par Daech, depuis six mois des personnes âgées craignent de mourir sans revoir leur maison. Comment décrire la promiscuité et l’absence d’intimité dans laquelle vivent tous ces déplacés ? Combien de temps les parents devront-ils encore expliquer à leurs enfants qu’ils vont retrouver bientôt leur école ?
Comment, au mois d’août, était-il possible d’imaginer que ces centaines de milliers de personnes, ces enfants, ces personnes âgées, allaient passer l’hiver presque à la merci des éléments ? L’intervention de la coalition internationale a fait espérer une reconquête rapide de la plaine de Ninive, et pourtant, depuis six mois, chaque jour se termine avec cet espoir déçu : la région est toujours aux mains de Daech. Le 30 janvier dernier, Netchirvan Barzani, premier ministre de la région autonome du Kurdistan, a expliqué qu’il anticipait une offensive pour reprendre Mossoul à l’automne 2015. Cela signifie-t-il que nous devons nous résigner à voir toutes ces familles attendre encore six mois, un an, dans ces conditions déplorables ?
Netchirvan Barzani pose deux questions. Quelle est la stratégie de la communauté internationale : contenir Daech ou le détruire ? Selon lui, les frappes aériennes correspondent à une stratégie de « containment » (endiguement, NDLR) de Daech mais ne permettront pas de reconquérir Mossoul. La deuxième question : faut-il que des centaines de milliers de familles continuent à vivre dans cette insupportable précarité uniquement parce que Mossoul n’est pas libérée ? En faisant de Mossoul la condition pour reconquérir la partie orientale de la plaine de Ninive, on prolonge le calvaire de tous ces réfugiés. Les discours militaires et politiques semblent être « tout ou rien », libérer Mossoul ou rien.
A contrario, il nous semble important de redire que l’urgence humanitaire, c’est justement la reconquête de la partie orientale de la plaine de Ninive afin de hâter le retour chez eux de centaines de milliers de réfugiés. À quelques kilomètres seulement des positions kurdes, les principales villes de la plaine de Ninive, Bashiqa, Qaraqosh, Karamless, Bartala ainsi que les villages environnants sont la patrie de 80 % des réfugiés membres des minorités d’Irak en danger.
Face à Daech, la stratégie de « containment » est une illusion mortelle. Participer militairement au côté des forces kurdes et irakiennes à la libération d’urgence de la partie orientale de la plaine de Ninive puis à celle de Mossoul est un devoir pour tous les pays européens : nous sommes assis au bord d’un volcan.
Faraj Benoît Camurat, président de Fraternité en Irak
Cette tribune a été publiée le 12 février 2015 dans La Croix