Avec les Yézidis oubliés du Mont Sinjar

Avec les Yézidis oubliés du Mont Sinjar

RENCONTRE – Une équipe de Fraternité en Irak s’est rendue dans la région de Sinjar où Daech a commis un génocide en 2014 contre la communauté yézidie. Quelques milliers d’entre eux ont résisté pendant des mois aux assauts des djihadistes.

Sinjar : ce nom dit quelque chose, il accroche l’oreille sans pour autant signifier quelque chose de concret. Il n’a pas la force de Kobané, de Mossoul ou de Falloujah dans notre mémoire d’occidentaux… Et pourtant. Pourtant, c’est bien sur ce mont Sinjar, situé au-dessus de la ville du même nom, que s’est joué un des épisodes les plus dramatiques de l’avancée de Daech en Irak.

C’était en 2014, Mossoul était tombée sans résistance entre les mains de Daech et la plaine de Ninive se vidait de ses habitants. Dans le même temps, l’Etat islamique lançait une large offensive contre la région de Sinjar. Mais pourquoi lancer des troupes fanatisées à l’assaut de cette zone située à la frontière irako-syrienne ? Certes, c’est un verrou stratégique qui relie les deux pays, mais c’est aussi et surtout l’endroit où vivent de nombreux membres de la communauté yézidie. D’après leur religion, c’est sur le mont Sinjar que l’arche de Noé – qui survécu du déluge – s’arrêta. Or pour Daech, les Yézidis sont des apostats, des moins que rien qu’il faut convertir ou tuer. Le 3 août 2014, des milliers de Yézidis sont ainsi assassinés ou enlevés, surtout les femmes, dans le but d’être réduits en esclavage. Ceux qui le peuvent s’enfuient en direction de la montagne.

En plein été, sous un soleil de plomb qui cause la mort de nombreux enfants et vieillards, les rescapés s’organisent pour défendre coûte que coûte la montagne sainte. Paradoxalement, l’offensive de Daech pour conquérir ce lieu défendu par une communauté affaiblie est le premier échec de l’organisation Etat islamique en 2014. Elle relança sans succès une autre offensive en 2016. Le bilan est accablant : 283 tués. Les Yézidis ont payé le prix fort pour préserver leur terre de la folie destructrice de Daech.

A l’invitation d’un chef de tribu yézidie, une équipe de Fraternité en Irak a pu se rendre dans cette région de Sinjar pour se rendre compte de la situation sur place et analyser les projets que l’association pourrait mettre en place pour soutenir les habitants encore présents dans la ville et les réfugiés vivant dans la montagne.

Tentes du millier de familles toujours réfugiés sur la montagne de Sinjar

L’ambiance est lourde dans la voiture qui nous y conduit. Pour nous rendre dans l’ouest du pays, nous venons de traverser Mossoul. Puis c’est la file ininterrompue de check points, presque un par kilomètre. Milices, forces gouvernementales, on ne cherche plus à comprendre. La tension est bien présente dans cette zone reprise à l’Etat islamique quelques mois plus tôt. De loin nous apercevons le djebel Sinjar. Sa longue silhouette se profile à l’horizon sous le soleil éclatant de novembre. On ne peut pas passer à côté de cette imposante montagne qui domine l’ensemble de la plaine. On comprend mieux, sur le terrain, l’importance stratégique d’un tel lieu.

Sinjar. Nous arrivons dans une ville fantôme. Des drapeaux des différentes milices flottent sur presque tous les bâtiments. Avant de nous arrêter dans un des quartiers détruits, on passe sur une petite place sur laquelle est affichée un panneau avec une vingtaine de visages en médaillon et des noms. L’image de ces Yézidis morts pour la reprise de cette seule rue est saisissante. D’autant plus lorsqu’on apprendra que leur moyenne d’âge était de 23 ans.

Vue d’une rue du vieux Sinjar qui s’est trouvée sur la ligne de front entre Daech et les combattants yézidis.

La ville de Sinjar

Nous entrons dans la maison de la sœur de Gabriel, un diacre syriaque orthodoxe qui nous accompagne. Majoritairement peuplée de Yézidis, la ville comptait aussi une communauté chrétienne. Il ne reste rien de la maison que des murs calcinés. Daech a utilisé la vieille pratique de la terre brûlée dans chacun de ses combats. La chaleur a été si forte que le verre des fenêtres a atteint son point fusion et qu’il ne reste que des morceaux tordus et courbés, rendant encore plus déprimante cette visite. L’ensemble des maisons du quartier ont brûlé de la même manière. Les rues sont encore vides même si au loin, on distingue un enfant apeuré qui se met à pleurer en nous voyant.

Nous nous dirigeons vers la vieille ville de Sinjar, située légèrement en hauteur, et vers l’ancien quartier chrétien dont il ne reste quasiment rien. Les différentes destructions causées soit par les frappes de la coalition, soit par les bombes artisanales de Daech, soit par les combats très durs entre milices et islamistes ont réduit à l’état de cendres cette partie de la ville qui comptait plusieurs milliers d’habitants. Premier arrêt dans ce paysage devant un petit monticule de gravats. C’est tout ce qu’il reste de la plus vieille église de Sinjar. Le cœur serré, nous essayons d’imaginer ce que devait être cette église. Par terre, entre deux gravats, on retrouve une photo d’une première communion. Elle date de 2012. C’était il y a 5 ans. Une éternité.

La croix de l’ancienne église arménienne au sommet des gravats

Un peu plus loin, l’église syriaque catholique est encore debout. Nous apprendrons que les milices yézidies y ont retrouvé des explosifs installés par Daech mais qui n’ont pas explosé. C’est la seule raison qui explique la survie de ce bâtiment entouré de ruines. Comme partout, chaque croix a été martelée et le mobilier détruit. Entre deux douilles, signe de l’âpreté des combats, quelques feuillets d’un livre de prière en syriaque gisent sur le sol. Il faudra du temps pour faire revenir des chrétiens à Sinjar… Et puis, tout d’un coup, un berger passe avec une vingtaine de moutons, au milieu des ruines. Un jeune Yézidi qui avance dans les décombres pour trouver un peu d’herbe pour ses bêtes. Signal fort qui nous rappelle que presque un millier de familles sont rentrées à Sinjar. Des familles entières de Yézidis vivent cahin-caha dans la ville encore sinistrée sans électricité ni eau courante.

L’église syriaque catholique est toujours debout

En prenant la route de la montagne, nous tombons sur la sortie de l’école qui a ré-ouverte il y a à peine un mois. On retrouve la même ambiance, identique sur toute la planète, mélange d’euphorie, de joie et de chahut. Malgré tout, la vie continue dans la ville de Sinjar ! Peu d’ONG sont présentes dans la ville. La communauté yézidie vit repliée sur elle-même, extrêmement méfiante. Les projets de développement ne manquent pas : reconstruction, développement économique, santé…

La vie reprend progressivement

Après un dernier check point, et une ascension d’une quinzaine de minutes en voiture, nous voilà sur les hauteurs de la montagne sainte, le fameux djebel Sinjar. Le soir tombe, nous rejoignons l’immense camp de bâches alors que les derniers rayons du soleil illuminent la montagne de couleurs féériques.

Reçus dans la famille du chef de tribu yézidie du Sinjar, nous allons pouvoir échanger avec les autorités locales pour déterminer leurs besoins et voir comment nous pourrions les soutenir. C’est une discussion passionnée qui débute, les verres de thés s’enchaînent alors que nous découvrons un peu mieux la complexité de la situation politique sur le terrain et les nombreux besoins. Rapidement, le sujet concernant la santé des habitants de Sinjar est abordé. Il n’y a qu’un seul médecin pour les milliers d’habitants de ce grand camp de réfugiés ainsi que pour les habitants rentrés dans la ville de Sinjar. L’absence de médicaments se fait, elle aussi, cruellement ressentir.

Temple yézidi

Privilège rare, nous sommes invités à dîner et à dormir sur place. À la vue des marées de tentes faiblement éclairées par la lumière blanche de la lune, on ne peut qu’être troublé. Un peuple qui a décidé, d’un seul élan, de se réfugier sur sa montagne sainte pour y vivre ou y mourir. Nous croisons des jeunes en uniforme, ils ont 20 ans mais leurs traits sont si marqués par la guerre qu’on pourrait leur en donner 30. Leur regard est clair mais dur, les combats pour la montagne ont été acharnés entre ces soldats et Daech : il y eut de nombreux corps à corps.

Nous nous réveillons aux aurores, et dans la pénombre, le thé est servi, d’un geste séculaire, comme cela se fait sur le djebel Sinjar depuis plusieurs millénaires. Après avoir assisté au lever de soleil sur la montagne, nous reprenons la route pour Qaraqosh, la grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, de l’autre côté de Mossoul. C’est le cœur lourd que nous nous quittons, mais avec plein de projets et, surtout, avec l’idée de revenir aider ces oubliés d’Irak.

Aidez les Yézidis du Mont Sinjar en faisant un don à Fraternité en Irak !

Actualité Faraj Benoît Camurat Vie de l'association Yézidis