À la rencontre des « réfugiés entrepreneurs » du camp d’Ashti

À la rencontre des « réfugiés entrepreneurs » du camp d’Ashti

by Fraternité en Irak Actualité Développement Erbil Urgence Vie quotidienne

Fraternité en Irak vous propose une série d’articles pour mieux saisir la réalité de la vie quotidienne des déplacés de la plaine de Ninive dans les « camps » d’Erbil.

REPORTAGE – Dans le grand camp d’Ashti, un village de 1200 mobil-homes, des milliers de déplacés chassés de chez eux par Daech tentent peu à peu de reconstruire leur vie. Certains ont décidé de remonter des petites entreprises pour subvenir aux besoins de leur famille et reprendre leur destin en main. Une trentaine de boutiques ont ainsi poussé dans le camp. Rencontres.

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Simon, l’épicier, avec une de ses clientes, Bassima – © Fraternité en Irak

À l’entrée du camp d’Ashti, Simon a monté une petite échoppe : une simple structure métallique entourée de bâches bleues sous laquelle il vend des produits alimentaires.

« J’ai dû fuir Qaraqosh en août 2014, à l’arrivée de l’État islamique. Je me suis retrouvé d’abord dans le camp de Holy Ankawa, puis j’ai passé l’hiver dans l’Ankawa Mall, un centre commercial désaffecté qui avait été un peu aménagé pour accueillir des réfugiés, et enfin, j’ai atterri là, à Ashti, dans un mobil-home. J’ai ouvert cette épicerie en mai 2015 pour faire vivre ma famille. À Qaraqosh, je possédais une usine de PVC où l’on fabriquait des portes et des fenêtres. J’ai tout perdu. Ici, j’achète des produits en gros à Erbil et je les revends. Je ne gagne pas beaucoup d’argent, mais cela permet à ma famille de tenir. Je suis content de pouvoir aider les gens de ce grand camp de caravanes. Je leur vends des produits moins chers qu’en dehors du camp et je leur fais crédit quand ils ne peuvent pas payer. Cela arrive souvent ! Je veux quitter l’Irak, non pas pour moi mais pour mes deux enfants. Ici, il n’y a pas de solution pour eux… »

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Amar, dans sa boutique de vêtements et maquillage – © Fraternité en Irak

À quelques mètres de l’épicerie de Simon, Amar a ouvert un magasin d’habits et de produits de beauté. Là aussi, la structure est rudimentaire, et, à 10 heures du matin, il fait déjà très chaud. Mais les clients ne manquent pas.

« Je viens de Qaraqosh, comme la plupart des gens de ce camp. J’étais chauffeur de taxi privé. J’ai ouvert cette boutique il y a trois mois, quand nous avons été déplacés de l’Ankawa Mall à Ashti. Je gagne de quoi nourrir ma famille tous les jours. Pour les mariages, les fêtes, les femmes continuent de se maquiller. Pour moi, c’est un premier pas pour reconstruire une nouvelle vie. C’est mieux que d’être sans travail et de dépendre d’aides extérieures. Il faut que tout le monde dans ce camp cherche un travail pour gagner sa vie car nous ne savons pas quand nous allons pouvoir rentrer chez nous. Ça va durer longtemps ! Mais j’espère un jour pouvoir retourner à Qaraqosh. »

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Najouane et son fils Rami – © Fraternité en Irak

Najouane, originaire lui aussi de Qaraqosh, a ouvert une droguerie/quincaillerie. Ici, on vient chercher un clou, du scotch ou encore des produits de nettoyage. Avec une énergie communicative, il accueille les clients, le sourire aux lèvres, ou bien discute sur le pas de sa boutique avec les gens de passage. Son fils, 11 ans, même sourire, passe ses journées avec lui pour l’aider.

« Quand des milliers de déplacés ont été installés dans ce camp, je suis le premier à m’être retroussé les manches. Au début, je vendais des choses à manger en faisant le vendeur ambulant dans les allées de mobil-homes. Ensuite, le P. Emmanuel, qui dirige ce camp, m’a autorisé à ouvrir une boutique en dur. Avec ce travail, je suis sorti de ce sentiment d’impuissance et cette léthargie qui gagnent beaucoup d’adultes ici. J’oublie que je suis un réfugié, je parle avec les gens… »

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Dahud et Ibrahim dans leur menuiserie – © Fraternité en Irak

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En ce moment, le père et son fils fabriquent de nombreux lits pour équiper les déplacés qui s’installent – © Fraternité en Irak

Dahud, 54 ans, et ses deux fils, Ibrahim, 25 ans et Fadi, 15 ans, sont menuisiers. Avec du matériel de chantier en bois qu’ils récupèrent en ville, ils fabriquent des lits ou des tables pour les déplacés du camp.

« Nous sommes originaires de Mossoul, mais en octobre 2013, nous avons dû partir car nous avons reçu des menaces de la part de terroristes. Nous nous sommes alors installés à Qaraqosh. À nouveau, en août 2014, nous avons fui avec toute la population de la plaine lorsque Daech est arrivé. Ici, je recommence tout à zéro une fois encore. Quand je pense qu’à Mossoul, mon médecin m’avait conseillé d’arrêter de travailler car j’ai une sciatique ! Je n’ai pas vraiment le choix car je n’ai pas d’autre ressource. Du coup, je fais de la musculation ! Heureusement que mes fils m’aident. À nous trois, nous arrivons à subvenir aux besoins de notre famille. »

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Aïssa et son père, Azem, dans leur boutique où ils vendent entre autres des produits surgelés – © Fraternité en Irak

Azem, 50 ans, propose des produits surgelés : glaces, viandes, poissons, qu’il arrive à garder au froid grâce à l’investissement dans un petit générateur qui permet de pallier les coupures d’électricité intempestives. Son fils, Aïssa, 21 ans, travaille avec lui. Dès le mois d’août 2014, lorsque les déplacés venaient d’arriver à Erbil et vivaient dans un camp de tentes, il s’était proposé pour faire partie de l’équipe qui organisait l’intendance pour des centaines de personnes.

« À Qaraqosh, j’étais agriculteur, raconte Azem. Aujourd’hui, le commerce, la vente, c’est la seule chose à laquelle j’ai pensé. Moi ce que je savais faire, c’était faire pousser du blé ! J’essaye d’aider les gens ici en leur faisant crédit, notamment aux anciens fonctionnaires qui touchent encore leur salaire à la fin de chaque mois. Ils achètent ce qu’ils veulent, et à la fin du mois, ils règlent leur note. À Qaraqosh, j’ai laissé 100 tonnes de blé dans mes greniers. J’avais aussi planté des pommes de terre, je n’ai pas eu le temps de les récolter… Tout ce que je veux, c’est rentrer rapidement. »

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Le salon de coiffure de Revan : une simple tente, mais bien décorée ! © Fraternité en Irak

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Revan dans son salon de coiffure – © Fraternité en Irak

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Détails de la décoration intérieure – © Fraternité en Irak

Revan, 22 ans, est coiffeur. Son salon est l’une des échoppe les plus spartiates du camp – une tente améliorée – mais elle a été décorée avec soin.

« Je suis originaire de Mossoul. J’en suis parti le 10 juin 2014, quand l’État islamique y est entré. J’ai appris la coiffure grâce à mon père qui était lui aussi coiffeur. À l’Ankawa Mall, où nous étions installés avant de venir dans ce nouveau camp, j’avais déjà ouvert un petit salon ! La coupe à la mode en ce moment, c’est le « Spykee », court sur les côtés avec des motifs dessinés au rasoir, et long travaillé sur le crâne. Pour moi, c’est très important de travailler pour gagner de l’argent et pouvoir un jour me marier. Notre avenir et notre retour à Qaraqosh, tout cela est entre les mains de Dieu, mais moi, je veux rester en Irak. »

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Mansour le tailleur – © Fraternité en Irak

Mansour, 55 ans, est tailleur. Dans le camp, il a installé deux machines à coudre sur une table et répare des habits usagés. Il fabrique des rideaux et des draps pour les déplacés qui s’installent dans la durée à Ashti.

« À Qaraqosh, il y avait beaucoup de musulmans qui venaient chez moi pour que je leur fasse des vêtements. Je les aimais beaucoup, je les respectais. J’ai dû fuir quand Daech est arrivé chez nous. Quelques jours plus tard, des musulmans parmi mes clients m’ont appelé. Ils étaient dans ma maison et détaillaient un par un les objets qu’ils étaient en train de me voler. Cela m’a dégoûté. Dans ces conditions, je ne sais pas comment nous pouvons imaginer un futur dans ce pays, surtout pour nos enfants. Bien sûr, je préférerais quitter le pays, mais je n’ai pas assez d’argent pour émigrer. J’arrive tout juste à faire vivre ma famille par ce travail. Certains mois, je suis obligé d’emprunter à d’autres. »

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Raïd devant sa boucherie – © Fraternité en Irak

Raïd est boucher. Dans la famille, on exerce ce métier à Qaraqosh de père en fils. Il a recommencé dans le camp d’Ashti.

« Tôt le matin, je me rends dans un abattoir de la ville où je sélectionne ma viande. Puis je reviens ici et je vends toute la journée. Je suis content car je retrouve tous mes clients de Qaraqosh, mes amis, ma famille. J’essaye de faire un effort sur les prix. Bien sûr, tout le monde aimerait rentrer chez soi. Vivre dans une caravane, c’est mieux que dans une tente, mais croyez-moi, ce n’est vraiment pas évident… »

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Bientôt, ici, une nouvelle boutique… © Fraternité en Irak