Fraternité en Irak au Parlement européen

Fraternité en Irak au Parlement européen

by Fraternité en Irak Actualité Vie de l'association

Le 3 décembre, Fraternité en Irak était au Parlement européen à l’invitation de la délégation du Parlement pour les relations avec l’Irak. Devant cette assemblée, l’association a appelé à la libération de la plaine de Ninive et à une plus grande liberté religieuse en Irak.  

Voici le discours prononcé au Parlement européen par Rémy. 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

En guise d’introduction, permettez-moi, au nom de Fraternité en Irak que je représente, de vous remercier de votre invitation à intervenir aujourd’hui sur la question des droits de l’homme et plus particulièrement sur la situation actuelle des réfugiés en Irak.

Fraternité en Irak œuvre depuis 2011 au service des minorités dans les domaines de l’éducation, de la santé et du développement. Nous désirons aider ces minorités, qu’elles soient chrétienne, yézidie, mandéenne ou kakaïe, à rester dans leur pays en leur apportant une aide concrète.

1. Il y a un an quasiment jour pour jour, une délégation de notre association s’était exprimée devant vous, en dressant le bilan, hélas bien sombre, de la situation des réfugiés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Quel bilan humanitaire pouvons-nous faire depuis cet exode massif de l’été 2014 des populations ayant fui la terreur de l’Etat Islamique  ?

L’année dernière, lors de notre intervention dans cette enceinte, nous vous avions fait part de la situation dramatique des réfugiés entassés dans des camps au Kurdistan irakien dans des conditions morales, matérielles et d’hygiènes déplorables. L’arrivée de l’hiver, parfois très rude dans cette région, nous avait obligés à nous mobiliser et à agir dans l’urgence. Ainsi, nous avions pu apporter des médicaments, des vêtements d’hiver pour les enfants, de la nourriture… et participer au relogement d’une petite partie des réfugiés.

Force est malheureusement de constater qu’à l’heure où je vous parle, la situation n’a évolué ni aussi rapidement, ni aussi favorablement que nous l’aurions souhaité depuis l’année dernière : la présence pérenne de l’Etat islamique à Mossoul et dans ses environs, à laquelle il faut ajouter l’incertitude du jeu géopolitique actuel, rend très difficile aujourd’hui pour un réfugié irakien d’envisager sereinement l’avenir, ne serait-ce qu’à court terme.

Au cours des témoignages que nous avons recueillis, nous avons pu constater que l’organisation Daech réserve un sort particulier aux membres de minorités. Les témoignages que nous avons recueillis de la part de chrétiens mais aussi de la part des yézidis et des kakaïs nous ont beaucoup marqués.

Concernant les yézidis justement : en août 2015, Fraternité en Irak a eu le privilège d’accueillir à Paris Saïd Hassan, chef yézidi du Sinjar, qui a donné lors d’une conférence un témoignage bouleversant sur le sort qu’ont subi les siens lors de l’offensive de l’Etat islamique, dans la nuit du 2 au 3 août 2014. Qu’il me soit ici permis de vous rapporter quelques-uns de ses propos :

« Ce qui a été fait aux yézidis n’est même pas racontable à une personne saine d’esprit. On ne peut pas compter les expériences atroces qui ont été faites sur les femmes yézidies. Particulièrement les femmes de 12 à 16 ans étaient les plus convoitées. Certaines ont été mariées jusqu’à 4 fois par mois voire par semaine. Des mariages pour les violer, puis elles ont été revendues parfois contre un paquet de cigarettes. Jusqu’à aujourd’hui on vend des femmes yézidies dans plusieurs pays arabes. Nous estimons que 7 000 à 10 000 personnes ont été enlevées, nous ne savons pas si toutes sont vivantes. Plusieurs milliers d’enfants ont été eux aussi kidnappés, notamment ceux entre 5 et 10 ans, pour les endoctriner et en faire des soldats ».

     > Lire aussi : Saïd Hassan, chef yézidi du Sinjar : « Ce qui a été fait aux yézidis n’est même pas racontable »

2. Quels sont donc actuellement, Mesdames et Messieurs, les chantiers humanitaires en Irak ?

Passé le cap de l’intervention d’urgence dans les camps de réfugiés, Fraternité en Irak a financé ces derniers mois des projets de plus longue durée pour permettre aux réfugiés et à leurs familles de continuer à vivre de façon plus autonome.

Notre action s’est ainsi axée autour de l’emploi des réfugiés. Toutes ces personnes, chassées de chez elles ont en effet perdu du jour au lendemain leur maison, leurs biens et leur travail. Nous croyons que le travail contribue à la dignité de la personne humaine et qu’il permettra de rompre l’isolement des familles et qu’il aidera à retrouver confiance en elles.

C’est pourquoi nous avons décidé d’investir dans l’économie locale en soutenant des initiatives comme la création de commerces tels que des boulangeries. Nous en avons ainsi intégralement financées et construites deux à ce jour, l’une dans un camp à Erbil (le camp d’Ashti), l’autre dans la ville de Zaho. Ces boulangeries emploient aujourd’hui au total 10 personnes. Celle du camp d’Ashti, par exemple, emploie cinq boulangers et vend 9 000 pains par jour à un tarif préférentiel pour les personnes réfugiées. Chaque jour, du pain de qualité est fourni en quantité suffisante pour l’ensemble du camp. Nous travaillons actuellement à la construction d’une unité de fabrication de crème de sésame, aliment de base des habitants de la plaine de Ninive.

Une autre grande priorité de l’association est l’éducation. Depuis 2011, Fraternité en Irak finance une école multiconfessionnelle à Kirkouk où peuvent se côtoyer dès le plus jeune âge des enfants issus de différentes composantes ethniques et religieuses de la ville. Cette école multiconfessionnelle, voulue par l’archevêque de Kirkouk de l’époque, Mgr Louis Raphaël Sako, aujourd’hui patriarche des Chaldéens, a pour objectif de créer des ponts pour la paix entre les différentes communautés de la ville. Cette initiative a rencontré un réel succès, tant et si bien que l’école a récemment été agrandie afin de satisfaire le nombre de candidatures croissantes. A cela, il faut ajouter l’impressionnant taux de réussite aux examens nationaux de 100% qui a fait de cette école la meilleure du gouvernorat de Kirkouk en 2014-2015.

À Alqosh, l’association a également financé l’ouverture d’une école pour les yézidis qui accueille 80 enfants et dont les professeurs sont également issus de cette communauté.

     > Lire aussi : Fraternité en Irak ouvre une école pour les enfants yézidis

Toujours dans le domaine de l’éducation, Fraternité en Irak s’est aussi engagée, à la demande de l’archevêque chaldéen de Kirkouk, Mgr Youssef Thomas Mirkis, dans un projet d’accueil d’étudiants de toute la région de la plaine de Ninive qui étudiaient à Mossoul avant l’arrivée de l’Etat islamique. Pour qu’ils puissent continuer leurs études dans des conditions convenables, Fraternité en Irak s’est mobilisée, et depuis la rentrée 2015, c’est plus de 300 étudiants qui sont accueillis. Mgr Mirkis nous disait encore récemment que ces jeunes sont l’avenir de l’Irak et qu’il n’acceptait pas l’idée qu’ils abandonnent leurs études parce qu’ils sont déplacés ou parce qu’ils n’ont pas les moyens de les poursuivre.

À Erbil, Fraternité en Irak a aussi financé l’ouverture d’un centre d’activités pour des enfants de 4 ans dans le grand camp de déplacés d’Ashti.

Enfin, une église a été construite pour permettre aux réfugiés de ce même camp de prier et se réunir dignement.

     > Lire aussi : La nouvelle église pour les réfugiés chrétiens d’Irak dédicacée !

3. Comment résumer ce que nous avons à dire sur la situation actuelle ?

Deux sentiments antagonistes prédominent : d’une part, il est réconfortant de voir des personnes qui ne meurent pas de faim et dont la situation s’est améliorée depuis plus d’un an. Les tentes ont été remplacées petit à petit par des mobilhomes respectant un peu plus l’intimité des familles. Certains pères de famille ont retrouvé un emploi, les plus jeunes sont de nouveaux scolarisés…
Mais il est d’autre part inquiétant d’observer une situation dont on ne voit pas aujourd’hui l’issue. Certes, je l’ai dit, beaucoup a déjà été fait, mais le moral des familles réfugiées continue de se dégrader irrémédiablement au fil des mois face au désœuvrement.

Si nous nous inquiétons de moins en moins pour eux sur le plan matériel, nous sommes en revanche extrêmement préoccupés par cet aspect psychologique. À l’espoir de rentrer chez eux se sont substituées la lassitude et la certitude de passer un deuxième hiver en exil, à moins de 80 km de chez eux. Le désespoir guette les déplacés et, avec lui, tous les problèmes qu’il entraîne : alcoolisme, conflits, violences conjugales, prostitution, découragement, sentiment d’impuissance face à l’avenir… La tentation de l’exil est grande et nous savons qu’il a déjà entraîné la mort de plusieurs réfugiés ayant tenté de quitter l’Irak au moyen des réseaux clandestins qui se sont développés.

Face à cette situation, nous pensons qu’il faut aider les déplacés qui le souhaitent à rentrer chez eux et à vivre en paix et en sécurité dans leurs villages de la plaine de Ninive. La pire des situations est celle que l’on connaît aujourd’hui. Nous avons tous en tête ces camps de réfugiés au Liban, au Kenya, en Jordanie qui accueillent de manière « provisoire » les mêmes familles depuis 10, 20 ou même 40 ans ! Par ailleurs, combien de temps les Kurdes accepteront-ils cette présence massive de déplacés dans leurs villes, sachant que l’écrasante majorité des réfugiés est arabophone et non kurdophone, ce qui implique une intégration beaucoup plus difficile ?

Il faut aider l’armée irakienne et les peshmergas à reconquérir ces villages parfois à peine défendus par Daech. Depuis septembre 2014, les positions les plus avancées des peshmergas ne se trouvent qu’à 8 kilomètres de Qaraqosh et à moins d’une dizaine de kilomètres des principales villes qui abritaient les membres des minorités religieuses de la plaine de Ninive. Il est important que le Parlement européen souligne auprès des autorités kurdes et irakiennes le fait que la libération de cette partie de l’Irak est la clé de l’avenir du pluralisme et des minorités dans le pays.

Pour anticiper sur une libération que nous espérons proche, nous pensons qu’il est important de prévoir dès à présent des moyens pour déminer les villages des minorités de la plaine de Ninive.

L’Europe qui a connu deux guerres terribles au 20e siècle a aussi un trésor à transmettre à l’Irak : le fait que, malgré ces deux guerres, nous ayons appris à vivre en paix. L’Europe doit aider les Irakiens à se réconcilier.

Une autre grande préoccupation pour les minorités est celle de la liberté religieuse. Aujourd’hui, au parlement irakien, est encore débattu un article, l’article 26 alinéa 2 de la constitution irakienne, qui stipule que l’inscription des enfants comme étant musulmans est obligatoire si l’un des deux parents se convertit à l’Islam. Face à une contestation aussi manifeste de la liberté religieuse, il est important que toutes les composantes de l’Irak s’expriment. Je m’adresse à vous, Monsieur le porte-parole du Parlement du Kurdistan, monsieur Yousif Mohammed Sadiq, en vous demandant de prendre fermement position contre l’article 26 alinéa 2 et de vous exprimer à ce sujet.

Par ailleurs, Fraternité en Irak demande à la délégation pour l’Irak du Parlement Européen d’adopter une déclaration en faveur de la liberté religieuse, réaffirmant le fait que l’on ne peut pas imposer à un enfant d’adopter automatiquement la religion musulmane si l’un de ses parents s’y convertit.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que notre attention et notre action envers ces réfugiés est plus que jamais nécessaire. La plupart d’entre-eux sont découragés et se sentent abandonnés par la communauté internationale. Qui se préoccupe des yézidis, des mandéens ou des kakaïs ?

Il est tout à l’honneur de l’Union européenne, qui a déjà tant œuvré par le passé à l’instauration, au respect et au maintien des droits de l’homme dans le monde, de continuer à agir auprès d’eux afin de leur donner l’espoir d’un avenir meilleur.

C’est notre devoir et notre vocation à tous, nous, citoyens européens ! Notre oubli, ou pire encore notre indifférence signifierait une chose : l’abjecte complicité avec les bourreaux.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.