Najlaa, une couturière aux doigts d’or

Najlaa, une couturière aux doigts d’or

RENCONTRE – Najlaa est couturière depuis plus de 25 ans et s’est spécialisée dans la réalisation de vêtements liturgiques. Elle est la première femme soutenue par le programme de relance économique de Fraternité en Irak.

Il est 16h à Qaraqosh, malgré le retour des beaux jours, les journées sont courtes et le soir tombe déjà dans la plaine de Ninive. Derrière l’église Mar Behnam et Sara, on entend le vrombissement des générateurs d’électricité de quartiers. Najlaa a tout éteint chez elle. La seule lumière provient de son atelier de fortune attenant à sa salle à manger. Dans la pièce, un petit fer-à-repasser est branché et laisse parfois échapper un léger nuage de vapeur.

Najlaa relève la tête un court instant et explique en soureth que les cinq heures quotidiennes d’électricité fournies par le gouvernement ne lui suffisent pas pour faire fonctionner toutes ses machines. Lorsqu’arrive le moment de repasser ses tissus, les ampères fournis par le générateur de quartier suffisent à peine pour utiliser le fer-à-repasser.

Aux murs, les travaux en cours de Najlaa témoignent de son talent : des soutanes, des habits religieux blancs, noirs, bleus ; des aubes, certaines toutes simples composée d’un drap blanc immaculé, d’autres ornées de dentelles. Sur un canapé, une nappe d’autel aux motifs dorés, et on aperçoit en dessous le bout d’une chasuble aux broderies rouges bordeaux. Pas de doute, elle est destinée à un syriaque catholique car on devine le fermoir qui permettra au prêtre de la revêtir telle un grande cape le recouvrant jusqu’au cou. Le vêtement scintille comme il est d’usage dans cette église d’Orient dont le rite met en avant le faste en l’honneur du Christ.

Najlaa est couturière depuis plus de vingt-cinq ans et son activité est le seul revenu pour subvenir aux besoins de sa famille de trois enfants et son mari. Elle a développé son savoir-faire dès l’adolescence quand ses tantes et ses grands-mères lui ont transmis leur passion. Robes de soirées, robes de mariages, vêtements pour enfants… rien ne résiste à ses doigts de fée. Mais il y a dix ans, après quelques années d’expérience, Najlaa s’est découvert un talent bien particulier : la couture et la broderie de vêtements liturgiques.

Quelques années avant l’arrivée de Daech, Najlaa avait ouvert un petit atelier attenant au souk de Qaraqosh. La nuit du 9 au 10 août 2014, la couturière et sa famille ont fui les terroristes et ont été contraints de laisser l’atelier et les machines. Trois ans plus tard, à son retour dans la ville, elle n’a retrouvé que les restes d’une surfileuse calcinée… Toutes les autres machines à coudre avaient été volées.

Najlaa n’avait pas attendu la fin du conflit et le retour à Qaraqosh pour continuer son activité. Son mari malade et ne pouvant travailler, il fallait bien faire vivre cette famille en exil à Ainkawa (Erbil, Kurdistan irakien). Deux mois après la fuite de la plaine de Ninive, Najlaa se démène pour emprunter à ses proches de quoi racheter une petite machine à coudre. Les réfugiés irakiens sont de plus en plus nombreux à l’étranger et les églises orientales accompagnant ces diasporas grandissent en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou encore en Australie.

Une clientèle nouvelle nait et Najlaa arrive même à racheter une seconde machine à coudre un peu plus grosse. Elle n’est pas aussi sophistiquée que celles de son ancien atelier de Qaraqosh mais elle fait l’affaire jusqu’à présent.

Mais ce qui manquait vraiment à Najlaa, c’était sa machine à broder. Depuis l’automne 2014, les commandes n’ont pas cessé d’affluer et Najlaa n’avait pas le matériel adéquat pour répondre à cette demande. Ne pouvant broder elle-même, elle a dû faire appel à des religieuses d’Erbil qui vendent à prix d’or leur travail. Elle a parfois été gagnée par la frustration de ne pas recouvrir elle-même ses chefs-d’œuvres. Par ailleurs, son travail est souvent interrompu par les coupures d’électricité qui sont très fréquentes.

Depuis mars 2019, Fraternité en Irak a donc décidé d’aider Najlaa grâce au programme de relance économique en lui rachetant une brodeuse très perfectionnée, une surfileuse, un petit générateur et un grand fer à repasser. L’atelier de Najlaa est de nouveau équipé comme avant. « Il m’aurait fallu des années de travail pour mettre de côté la somme nécessaire au rachat de mes machines », me confie-t-elle émue. Le soutien de l’association est le coup d’accélérateur qui va lui permettre de développer son activité.

Sa sœur et sa fille n’hésitent pas à lui venir en aide quand le travail est trop important. Le savoir-faire unique de Najlaa est transmis et le lien entre les églises orientales exilées et l’Irak est maintenu. Quelle espérance de savoir ces chrétiens déracinés célébrer dans leurs rites, conserver leur identité et leur richesse culturelle grâce à cette femme de la plaine de Ninive !

C’est dans son salon – salle à manger que je suis reçue pour la première fois. A peine assise dans le canapé qui entoure la pièce, Najlaa s’affaire pour m’offrir un café. Après plusieurs minutes où je l’observe discrètement servir les hommes présents (son mari, mes co-équipiers irakiens, et son fils) : elle s’assoit enfin. Je lui pose quelques questions sur sa famille et lui demande de me raconter son histoire et son travail. Un sourire s’esquisse sur son visage, et son discours est continu pendant plusieurs minutes. La pièce est silencieuse. Sa discrétion s’efface, elle a capturé l’attention de tout le monde. Je suis intriguée, je ne comprends pas ce qu’elle dit et pourtant je sens qu’elle prend une place centrale dans la pièce. Douceur et discrétion révèlent l’artiste chevronnée, la businesswoman accomplie et pilier d’une famille.

Cécile, volontaire en charge du programme de relance économique de Fraternité en Irak est heureuse d’avoir relancé la première femme et 90e entrepreneure soutenue par l’association dans la plaine de Ninive.

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